mardi 27 novembre 2012

Le fils de Pierrot


Jusqu'à quinze heures trente, je n'avais rien à faire. C'était bien la première fois que je me baladais dans l'hosto sans pousser un chariot. J'en ressentais presque un manque, une vague démangeaison  aux creux des paumes.
J'ai erré dans les couloirs, en touriste. Etrange. Je ne l'avais jamais vu comme ça, l'hosto, avec ses interminables allées, désertes à l'heure de la sieste...Les mains dans les poches de ma blouse je vagabondais d'étage en étage, un coup chez les cancéreux, un coup chez les pattes folles, une virée chez les hypertendus, une apparition dans la salle des hépatiques. Ces diamants me perturbaient. Une richesse aussi grande dans un écrin aussi dégueulasse, c'était surnaturel, discordant, un non-sens...
Jamais comme ce jour-là je n'ai autant haï  l'hosto, jamais autant je n'ai vomi son odeur. Pas une odeur d'hôpital, faite de remugles d'éther, de senteurs fugaces du parfum dont s'aspergent certaines infirmières bien roulées, à la blouse transparente, qui font bander les petits jeunots venus là pour se faire réparer un bras cassé. Oh, non, pas cette bonne et forte odeur de vie qu'on bricole avant de lui donner une claque affectueuse sur l'épaule en lui souhaitant : allez, bon vent, on espère bien ne plus te revoir ici !
Il traîne une sale odeur, mon hosto. Une odeur de pourriture, d'oubli, de boue, et de pisse. Une odeur de pus qui suinte des escarres en technicolor, à ciel ouvert, d'où pointe l'os à nu.
Une odeur de dégueulis, de peur, de foutez-moi la paix et de laissez-moi crever peinard! Une odeur de j'en peux plus, coupez-moi les jambes, coupez-moi les couilles mais laissez-moi croire à mes souvenirs.
Une odeur de bassin pas vidé depuis trois jours, de draps où j'ai renversé ma soupe, une odeur de pourquoi mon dentier traîne par terre?
Une odeur d'excusez-moi, j'ai encore chié au lit, mais pardon, mon cul ne veut plus m'obéir...
Et cette odeur-là, les murs de l'hosto en sont barbouillés, imprégnés, imbibés. On peut laver, javelliser, il n'y a rien à faire. Coucou me revoilà, c'est moi la puanteur, je reviens te chatouiller les narines, tu as essayé de me chasser, mais je te colle à la peau. L'odeur de l'hosto. Pas de l'hôpital, de l'hosto.
De l'hosto à vieux. De la décharge à vieux.
Thierry Jonquet
(Le bal des débris)
Jonquet, j'ai toujours pensé qu'il était le fils de Siniac, le Pierre... né en 28. En lisant ce bouquin là, j'en suis encore plus persuadé. D'abord, y'a les personnages ; des égarés, des gens d'un autre monde. Le monde des petits épiciers, des apéros, des putes du Sébasto, des zouaves, des teigneux revanchards.
Un peuple avec des blases adaptés à leur fonction . Les  Rouvère, Morançon, Grelèche, Lecointre et  autre Picasseau, vous saluent bien !
C'est vrai que la paternité, après tout, on s'en tamponne. Mais, je ne classe pas pour mieux consommer, comme dans les rayons des épiceries-bouquineries (le vu-à-la-télé devant, le pittoresque derrière) mais seulement  pour tenter de comprendre. C'est pas grand-chose, non? La recherche d'ADN pour coincer le coupable, c'est pas nouveau et c'est pas contre-indiqué pour le lecteur couché.
Bref, Pierre et son fiston, y boivent pas de visky mais du blanc-cass ou du Guignolet-kirsh, confortablement attablés à la terrasse de leur rade préféré. Ensuite, le garçon frappe les trois coups et le spectacle débute.
Beaucoup plus tard, lorsqu'ils regagnent leurs homes complètement torchés, ils n'embrassent pas leurs greluches , celle du Thierry  est parti avec un syndicaliste CGT et le Pierrot ne se rappelle même plus le prénom de la dernière.
Mais, à ce qu'on raconte, y parait qu'il y a des vierges au Paradis.
Julius Marx

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