samedi 29 novembre 2014

Art moderne




Au grand carrefour de la Place Tahrir(1) un simple d’esprit (ou peut-être devrais-je écrire un esprit simple ?) s’amuse à mimer les gestes autoritaires du policier. La bouche grande ouverte, les yeux exorbités, il agite ses longs bras comme le mécanicien chargé de guider les avions sur le tarmac d’un aéroport. Les conducteurs et les passants s’amusent, le policier ne bronche pas. Pas un poil de sa moustache ne frémit. La rue est un spectacle.

Dans un square, un homme profite du tuyau d’arrosage abandonné sur la pelouse pour prendre une bonne douche.  A quelques enjambées, le marchand de pain allongé devant son étal n’interrompt pas sa rêverie. Le bonheur est vraiment à portée de main.

A un autre carrefour, nous n’avançons plus. Toutes les voitures sont presque encastrées les unes dans les autres. On se croirait dans le final du film Playtime de Jacques Tati. Un taxi vient de crever. Son chauffeur grimace, se gratte la tête et demande à ses passagères de bien vouloir descendre au plus vite. Et voilà  nos trois grosses femmes, les bras chargés de sacs et cabas, appelant au secours comme des naufragées sur une île perdue. Les chauffeurs profitent pleinement de ce petit intermède  salutaire dans leur longue journée d’embouteillage.

Sur le Ring (le boulevard qui encercle une partie de la ville) on peut raisonnablement circuler à  quatre files de voitures. Pourtant, ce matin, je n’en compte pas moins de six. La conduite devient combat, frôlements et rétablissements spectaculaires. Ce sport  de glisse, non recommandé aux âmes sensibles, est toujours accompagné de la douce musique des avertisseurs. Sur le microscopique morceau de parpaing qui fait office de trottoir, un vieillard appuyé sur ses deux béquilles pose un regard perdu, sans vie, sur l’autre rive inaccessible.

Dans l’arène, devant la grande pyramide du Roi Djoser à Saqqarah, il arrivait que  le demi-Dieu combatte seul, face à un taureau pour assurer son pouvoir devant le peuple. L’image est séduisante mais, comment pouvait-il être vraiment certain de sortir vainqueur de cet affrontement inégal ? On m’assure que les grands prêtres connaissaient déjà les remèdes pour « affaiblir » le taureau.  Cette entente entre l’Etat et les pouvoirs du spirituel m’enchante.


Nous descendons sous terre. On ne saurait dire vraiment pourquoi mais, soudain, en découvrant ces fresques peintes sur les murs du tombeau d’un noble… l’émotion est trop forte. Peut-être les milliers d’années qui nous séparent de ses témoignages d’un peuple à son protecteur?  Pourtant, nous n’avons pas l’impression qu’autant de siècles séparent ces scènes de la vie quotidienne de cette époque de la nôtre. Un artiste d'aujourd'hui pourrait facilement immortaliser ce gardien endormi, la bouche ouverte, coincé dans sa guérite en fer blanc, ce responsable de l’environnement, à quatre pattes sur la pelouse, qui arrache un à un les brins d’herbes ou ce gamin aux yeux verts, barbouillé de plâtre de la tête aux pieds, et son sourire désarmant.
Julius Marx
(1) Petite anecdote à propos de la Place Tahrir .On raconte que le ministre de l'intérieur d'avant la révolution (son nom n'a aucune importance) assurait à qui voulait l'entendre qu'aucune manifestation ne pourrait jamais avoir lieu sur cette place à cause des nombreux échafaudages présents depuis un certain nombre d'années.
Photo: la Pyramide du Roi Djoser. Pendant que les quelques touristes présents s'acharnent à la photographier sans qu'apparaissent les échafaudages, les groupes de locaux défilent à une vitesse vertigineuse,se font tirer le portrait et repartent, nullement impressionnés par la solennité des lieux .

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