mercredi 8 juin 2016

La vie anecdotique (4)






« Il y a des choses qui se vivent seulement ; ou alors si nous tenions à les dire, il eût fallu le faire en poésie » écrivait Pasolini. Alors, comment vous raconter ces instants furtifs, ces    découvertes quasi-quotidienne, ces personnages hors du monde ? Comment vous faire partager par exemple, le regard échangé avec ce gamin d’à peine une quinzaine d’années occupé à décharger seul une camionnette de briques, en les empilant quatre par quatre, alors que la température, cet après-midi-là, flirtait avec les quarante degrés ?

Si vous lisez ce blog depuis plusieurs années, vous vous souvenez sûrement que j’ai déjà consacré quelques articles aux chiens captifs, sur le toit d’une maison en construction ou dans un minuscule rectangle de terre battue pompeusement baptisé jardin. Cette tradition  toute méditerranéenne se perpétue ici aussi. Il y a dans notre résidence surveillée une bonne meute de cadors qui forme un club très fermé dont chaque membre n’hésite jamais à se manifester au passage d’un piéton, d’une voiture ou d’un des nombreux jardiniers, gardiens ou ouvriers qui gagnent leur vie sur le site. Mais, celui qui me préoccupe depuis plusieurs semaines déjà, aboie sans raison apparente, sans jamais montrer le moindre signe de fatigue. Ce franc-tireur, cet esprit libre, que je n’ai toujours pas réussi à localiser précisément, a fini par devenir une obsession. Et puis, je suis bien conscient, pour l’avoir expérimenté déjà dans la passé, qu’une visite à son maître n’aurait aucun effet probant. Le type m’accuserait de ne pas aimer les animaux en adoptant cette expression outrée que seuls savent adopter les imbéciles. En attendant, son chien, je l’entends même lorsqu’il ne l’ouvre pas ! Alors, à bout de nerfs, j’ai fini par descendre dans la rue à la rencontre du gardien de notre bâtiment. Je savais bien que, comme la plupart des surveillants de la résidence, l’homme ne parle pas un mot d’anglais. Mais, en guise d’explication, mon plan était fort simple.  Dans un premier temps, je demanderai au gardien de sortir de sa guérite, lui ferait écouter les aboiements de mon tortionnaire, puis, je mimerai le type au bord de la crise de nerfs. Mon premier essai fut un échec. Ce satané chien avait, pour une fois, décidé de la fermer ! Je l’imaginai, m’espionnant derrière son grillage. A peine revenu dans mon appartement, il remettait ça… Depuis ce jour maudit, à chaque tentative désespérée, la bête agit toujours de la même façon. Et le gardien me regarde, bras ballants, en tentant vainement de percer l’indicible mystère qui hante l’esprit des habitants de la vieille Europe. La nuit venue, je rêve aux joies et aux surprises que nous prodiguent sans cesse les chats indépendants, personnels, et surtout silencieux.

Si vous lisez ce blog depuis plusieurs années, vous vous souvenez sûrement que j’ai aussi consacré pas mal d’articles à la période du Ramadan. A partir d’aujourd’hui, les heures du jour vont ressembler à l’un de ses vieux films d’anticipation où l’unique survivant d’un tremblement de terre où d’une attaque d’extra-terrestres erre parmi les décombres en cherchant désespérément un autre survivant pour partager avec lui quelques mots ou les rations de survie qu’il a pu dénicher dans un magasin dévasté. Je pense que la pénitence serait vraiment complète si, en plus de l’interdiction de manger, boire et fumer, les hautes autorités religieuses y ajoutait également celle de ne pas se servir de son portable. Terminons par une petite phrase d’après Woody Allen : « Non seulement Dieu n’existe pas, mais, essayez de trouver un plombier pendant le Ramadan. »
Bref, si vous lisez ce blog depuis plusieurs années, vous avez probablement compris que je place la fantaisie bien au-dessus de toutes les qualités humaines. C’est une faculté qui a le pouvoir de s’adapter, malgré nous-mêmes, à toutes nos actions en les sublimant.

Julius Marx

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