vendredi 10 juin 2016

Je me souviens (4)




Ces « je me souviens » ne sont pas exactement des souvenirs, et surtout pas des souvenirs personnels, mais des petits morceaux de quotidien, des choses que, telle ou telle année, tous les gens d’un même âge ont vues, ont vécus, ont partagés, et qui ensuite ont disparu, ont été oubliées ; elles ne valaient pas la peine d’être mémorisées, elles ne méritaient pas de faire partie de l’Histoire, ni de figurer dans les Mémoires des hommes d’Etat, des alpinistes et des monstres sacrés.
Il arrive pourtant qu’elles reviennent, quelques années plus tard, intactes et minuscules, par hasard ou parce qu’on les a cherchées, un soir, entre amis : c’était une chose qu’on avait apprise à l’école, un champion, un chanteur ou une starlette qui perçait, un air qui était sur toutes les lèvres, un hold-up ou une catastrophe qui faisait la une des quotidiens, un best-seller, un scandale, un slogan, une habitude, une expression, un vêtement ou une manière de le porter, un geste, ou quelque chose d’encore plus mince, d’inessentiel, de tout à fait banal, miraculeusement  arraché à son insignifiance, retrouvé pour un instant, suscitant pendant quelques secondes une impalpable petite nostalgie.
Georges Perec

Je me souviens des cafetières Cona. Aujourd’hui, je trouve qu’elles sont toujours les plus belles cafetières du monde.

Je me souviens que ma grand-mère avait loué une télévision qui ne fonctionnait que si l’on glissait des pièces dedans, comme dans une tirelire. Bien entendu, nous avons raté le duel final d’un bon nombre de films.

Je me souviens du lait en berlingot et du lait homogénéisé. J’ai cherché très longtemps la signification de cet adjectif mystérieux.

Je me souviens que Johnny Hallyday se roulait par terre.

Je me souviens des boutons d’or que l’on se collait sous le menton et des queues de cerises que l’on passait par-dessus nos oreilles.

Je me souviens du trou des Halles.

Je me souviens du bal tragique à Colombey.

Je me souviens d’un clip vidéo de Frank Zappa avec l’image animée d’un long serpent qui entrait dans la chevelure du guitariste.

Je me souviens que SNCF voulait dire « savoir nager comme Fernandel. »

Je me souviens de « on mène la vache au taureau » et toi tu vas « chez le coiffeur ».

Je me souviens de l’expression de Patrice Lulumba, assis à l’arrière d’une camionnette.

Je me souviens que le boucher de la Rue de Paris s’appelait Grominet.

Je me souviens de la toute première fois où j’ai mangé des cuisses de grenouille.

Je me souviens de Peter, Paul and Mary.

Je me souviens de la couverture du magazine Actuel : « si vous n’achetez pas ce numéro, nous tuons ce chien ».


Je me souviens des Chaussettes noires qui chantaient Daniela, et des trois guitaristes qui jouaient de la guitare électrique sans aucun fil.

Julius Marx

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