jeudi 19 avril 2012

Histoires comme-ci, comme çà (3)







Comment je suis devenu un roi du sprint


Londres, 1974. Une bande de français très mal élevés.Tous les membres de la bande ne sont dans la capitale britannique que pour une seule chose: le rock and'roll.
Pendant qu'à Paris, les années plombées débutent avec, sur la télé auvergnate, les braillements continus de Claude François, Joe Dassin et Dalida, nous sommes tous les soirs au Marquee sur Wardour Street, au Round house et au Rainbow. 
L'IRA fait péter les pubs à Birmingham et ailleurs, une seule chose pourtant nous préoccupe : comment ne pas payer les transports en commun ?
Dans les fameux bus à étage, la chose est plutôt facile. On emprunte  tout de suite le grand escalier. Pendant que l'unique contrôleur s'occupe du rez-de-chaussée, on a largement le temps de faire plusieurs kilomètres gratis avant qu'il ne s'intéresse à nous. Et puis, le pauvre a aussi un autre handicap. A chaque arrêt du bus, il doit tirer sur sa chaînette magique pour signaler au chauffeur qu'il peut repartir. Alors, il lui arrive très souvent de monter et descendre comme une bille de flipper.
Un soir, M et V se sont collés bien au fond du bus.Sur ses gardes, l'employé les a bien visualisé.  Lorsqu'il est redescendu pour tirer la chevillette, ils ont échangés leurs places et leurs vêtements...hilarité générale...
En remontant, essoufflé, rougeaud, il a bien cherché les deux frenchies... Mais,  impossible de remettre la main dessus...
Pour le métro, c'était beaucoup plus difficile. Mais, en ces douces années d'euphorie générale, heureusement les types déterminés et imaginatifs ne manquaient pas.
La technique était simple, on filait cinq pences, en douce, dans la main du contrôleur qui, à cette époque se trouvait à la sortie, en lui disant que l'on venait de la station d'avant. Je ne sais pas si c'est un français qui a inventé la combine, mais ses  compatriotes s'en servaient tous.
Ce soir là, à la station Holloway road , tous les membres de la bande écoutaient attentivement M.
Son discours était simple. Pour lui, nous n'avions même pas besoin de dépenser inutilement cinq pences. La seule solution pour échapper à la dîme, c'était la course à pied. Il nous expliquait calmement comment procéder en remontant le quai.
-C'est simple les gars. On se met à courir, on passe à toute vitesse devant le contrôleur assis et on sort, c'est tout.
-T'as oublié les escaliers, dit F
-T'es négatif, murmura P
-Et l'autre type, là-haut, dans sa guérite, ajouta, B
-Quoi, Vous êtes plus rapides qu'eux, non? cria M.
Nous étions déjà comme des athlètes à l'échauffement, en petites foulées. La piste s'ouvrait devant nous, la gloire nous attendait.
Je tâtais la pièce de 5 au fond de ma poche en pensant que le sacrifice valait bien une petite course.
-Maintenant ! lâcha M.
En voyant une bande de chevelus débouler à toute vitesse avec l'évidente intention de ne pas s'arrêter pour le saluer, le contrôleur ne perdit pas son flegme. Il fouilla au fond de sa poche,  attrapa son sifflet et souffla comme un forcené.
Les coups de sifflet stridents retentirent alors que les coureurs venaient d'attaquer la volée de marches du grand escalier.
Nous passâmes devant la guérite alors que le préposé venait seulement de se lever, alerté par les coups de sifflets.
Et puis, la route...
Fier de sa méthode M se demanda s'il n'allait pas la faire breveter.
-C'est trop d'effort, répondit F en tentant de reprendre son souffle.
-T'aurais pu choisir une station sans escalier, grogna B.
-Z'êtes jamais contents les mecs, trancha M en levant les yeux au ciel. C'est P qui a raison, vous êtes négatifs.
L'ironie de l'histoire c'est qu'aujourd'hui, je suis ami avec un contrôleur des transports publics londoniens. Il m'a raconté qu'un collègue qui partait à la retraite, il y a une dizaine d'années, avait encore dans son placard personnel, un sac entier de pièces de five cents. Etonnant, non?
Julius Marx




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