jeudi 6 septembre 2012

Le polar est Amour (Fin)


La voiture se mit en marche.Cramponné des deux mains, Steve lança ses deux pieds en arrière, à la volée. Puis il se rétablit sur le marchepied. Par-dessus la tête de la fille, il envoya sa main, une main qui n'eut même pas le temps ni le réflexe de se refermer en poing, une main aux doigts raidis sur une grande gueule rouge.
La voiture avançait. Une des mains de la fille s'éleva, agrippa la volant pour maintenir la voiture en ligne droite le long d'une rue qu'elle ne voyait pas. Un homme lui tomba dessus. Steve l'extirpa de la voiture, le lacérant, lui arrachant des cheveux et de la peau. La voiture tangua, cognant contre une maison, nettoyant les attaquants. Les mains qui enserraient Steve lâchèrent prise, arrachant la plupart de ses vêtements. Il attrapa un homme debout sur le siège et le fit basculer dans la rue qui fuyait sous les roues. Puis il tomba à côté de la fille.
Des détonations claquèrent derrière eux. D'une maison devant laquelle ils passèrent, un fusil aboya et vida son chargeur sur eux, trouant le garde-boue.
Puis ils se trouvèrent dans le désert, doux et blanc comme un gigantesque lit d'hôpital.
Quels que fussent les poursuivants, ils étaient loin maintenant.
Très vite la jeune fille ralentit, puis arrêta la voiture.
-Rien de cassé ?demanda Steve.
-Non.Mais vous...
-Les morceaux sont encore bons, assura-t-il, donnez-moi le volant.
-Non, non! Vous saignez. Vous...
-Non, non! reprit-il en contrefaisant sa voix, continuons à rouler jusqu'à ce qu'on trouve quelque chose. Nous ne sommes pas assez loin d'Izzard pour nous sentir à l'abri.
Il avait peur de tomber évanoui dans ses bras, si elle essayait de panser ses plaies.
Elle remit la voiture en marche et ils roulèrent. Un grand besoin de dormir s'empara de lui. Quelle bagarre ! Quelle bagarre!
-Regardez le ciel, s'exclama-t-elle.
Il souleva ses paupières lourdes. Devant eux, au-dessus d'eux, le ciel s'illuminait, du bleu foncé au violet jusqu'au mauve, jusqu'au rose. Où ils avaient laissé Izzard, un monstrueux incendie embrasait le ciel, comme un diamant jette des feux.
-Adieu, Izzard, dit-il d'une voix endormie.
Puis il se cala confortablement dans le siège. Il regarda encore le ciel au-dessus de lui, d'un rose incandescent.
-Chez ma mère, dans le Delaware, les primevères du jardin ont parfois cette couleur-là. Je suis sûr que vous les aimerez.
Sa tête s'inclina sur l'épaule de la jeune fille et il s'assoupit.

Dashiell Hammett
Nightmare Town
(Un sale bled)
Photo : Gloria Grahame et Humphrey Bogart In a lonely  Place (le violent) Nicholas Ray-1950)

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