jeudi 20 septembre 2012

Une définition du paradis



J'ai rêvé que je lisais Stendhal à la Centrale Nucléaire de Civitavecchia : une ombre se glissait entre la céramique des réacteurs. C'est le fantôme de Stendhal, disait un  jeune avec des bottes et le torse nu. Et toi, qui es-tu?,j'ai demandé.
Je suis le junkie de la céramique, le hussard de la céramique et de la merde, il a répondu.

J'ai rêvé que Philip.K.Dick se promenait dans la centrale nucléaire de Civitavecchia.

J'ai rêvé que c'était la fin du monde. Et que le seul être humain qui contemplait cette fin était Franz Kafka. Dans le ciel, les titans luttaient jusqu'à la mort. Depuis une chaise en fer forgé, dans un parc new-yorkais, Kafka regardait le monde brûler.

J'ai rêvé que je faisais un 69 avec Anaïs Nin sur une énorme plaque de basalte.

J'ai rêvé que j'étais un très vieux détective latino-américain. Je vivais à New-York et Mark Twain  m'engageait pour sauver la vie de quelqu'un qui n'avait pas de visage. Ce sera une affaire rudement compliquée, monsieur Twain, je lui disais.

J'ai rêvé que je m'endormais pendant que mes camarades de lycée essayaient de libérer Robert Desnos du camp de concentration de Terezin. Quand je me réveillais, une voix m'ordonnait de me mettre en route. Vite, Bolano, vite, il n'y a pas de temps à perdre.
En arrivant, je n'ai trouvé qu'un vieux détective fouillant dans les ruines fumantes après l'assaut.

J'ai rêvé que j'avais dix-huit ans et que je voyais mon meilleur ami de l'époque, qui en avait aussi dix-huit, faire l'amour avec Walt Whitman. Ils faisaient ça dans un grand fauteuil, en contemplant une fin d'après-midi venteuse à Civitavecchia.

Roberto Bolano 
Un voyage dans la littérature (extraits)
-Je ne sais pas comment on pose le petit serpent sur le "n" de Bolano, désolé.
-Civitavecchia est une petite ville balnéaire d'Italie.





Etes-vous chilien, espagnol ou mexicain?
-Je suis latino-américain.

Quelle est votre patrie?
-Je regrette de devoir te donner une réponse un peu niaise, mais ma seule patrie, ce sont mes enfants, Lautaro et Alexandra. Et peut-être, mais dans un deuxième temps, certains instants, certaines rues, certains visages, scènes ou livres qui sont en moi et qu'un jour ou l'autre j'oublierai, car c'est la meilleure chose que l'on puisse faire avec sa patrie.

Qu'est-ce qui vous ennuie?
-Les discours vides de la gauche. Les discours vides de la droite vont de soi.

Qu'est-ce qui vous amuse?
-Regarder ma fille Alexandra jouer. Déjeuner dans un café près de la mer et manger un croissant en lisant le journal. La littérature de Borges. La littérature de Bioy. La littérature de Bustos Domecq. Faire l'amour.

A quoi ressemble le paradis?
A Venise, j'espère. Un endroit plein d'Italiens et d'Italiennes. Un lieu qu'on consomme et qu'on use, qui sait que rien ne dure, pas même le paradis, et qui sait aussi qu'au bout du compte cela importe peu.

(Extraits choisis du dernier entretien donné par Roberto Bolano, en juillet 2003, à la journaliste Monica Maristain pour l'édition mexicaine du magazine Playboy.)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire