mardi 30 octobre 2012

Des femmes...


Il jette le carnet rouge sur la descente de lit.
Elles se suivent ainsi, complaisantes, passionnées, crédules, tristes, trop bien nourries ou affamées.
Par nervosité, ennui, Lewis mène ses aventures avec une rapidité cinématographique. C'est à peine s'il prend le temps de distinguer "les petits rôles" de la" figuration intelligente". Pourtant il s'étonnera d'être voué aux déceptions. Des femmes : il lui en faut tout le temps, il ne sait pourquoi. Il lui en faut pour les regarder de profil, pour les inonder de cadeaux, pour les enivrer, pour cultiver leur esprit, pour les profaner, pour leur faire le caractère, pour les congédier, pour passer ses colères, pour garder le lit et les mettre pendant quelques jours au courant des littératures étrangères, pour ne pas manger seul, pour se réveiller, franchir de mauvais pas, poursuivre la vérité, pour voyager. Pour voyager surtout. C'est là qu'elles sont le plus agréables, toujours plus souriantes qu'ailleurs. Les voyages ne commencent-ils pas par des robes pour finir par d'autres robes? Ces infidélités à tant de villes, de gens, de paysages; autant de plaisir que de draps différents.
Partira-t-il seul pour la Sicile? C'est pourtant un voyage à faire avec une femme. Un objet de fantaisie, une petite bête très jolie-" ayant appartenu à divers amateurs", comme disent  les catalogues de commissaires priseurs-, très fine d'attaches, qui parlerait tout le temps d'elle-même, perdrait ses clés de malle, écrirait son nom sur la buée des vitres, qui attendrait qu'on descende lui acheter des choses du pays à chaque station?
Non, il partira seul.
Paul Morand 
Lewis et Irène
Poche 2652
Photo : Ava Gardner (The barefoot Contessa) Joseph L Mankiewicz- 1954

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