mercredi 10 octobre 2012

Histoires comme ci, comme-ça (17)

Comment j'ai rencontré l'inspecteur Harry 



Nord de la Thaïlande. Août 1985.
Mais bon sang, qu'est-ce que je fais là! Pourquoi ais-je accepté de me farcir trois jours de marche forcée dans cette jungle infernale? Pourquoi je ne suis pas resté sur la plage, tranquille, peinard, en laissant lentement s'écouler les journées? Oui... pourquoi ?
Parce que ma compagne me l'a demandé, voilà pourquoi, pardi !
 On connait le vieil adage ... Ce que femme veut . C'est évident . La preuve, dans le groupe de marcheurs, il y a quatre femmes et deux hommes. Je ne compte pas le guide, un type d'une trentaine d'années qui doit peser dans les cinquante kilos, pas plus, et qui trace devant nous à la vitesse d'un cheval au galop! Le premier de la file a tout juste la chance d'apercevoir de temps en temps son énorme sac à dos (le double du nôtre) avant qu'il ne disparaisse dans un fourré.
Si seulement les oiseaux pouvaient la fermer... juste une petite minute.
En plus, j'ai un drôle de handicap sur les autres. Les baskets ne sont  pas les chaussures adaptées aux passages de rivières à l'eau trouble, aux descentes de sentiers ravinés, à la grimpette sur montagnes de boue.
Je ne marche pas, je glisse. Et puis le jean, c'est parfait pour la terrasse des cafés, le soir, à la fraîche, vautré dans un grand fauteuil de rotin, mais totalement inadapté à la jungle.J'ai pas besoin d'une seconde peau.
Jamais vu des arbres aussi hauts. Combien de mètres? Impossible à dire. La seule chose que je sais c'est qu'ils sont gigantesques. Nous sommes arrivés en haut du sentier et nous ne voyons toujours pas la cime de ces fichus arbres. La fille qui me précède, une quadragénaire un peu boulotte et ultra équipée treeking , me demande si je connais le nom de ces arbres merveilleux. Non, et je m'en moque! Qu'est-ce que ça va changer?
J'ai soif. Je pense un moment que si je tord mon propre tee-shirt je pourrais au moins récupérer deux à trois litres d'eau. L'eau potable est notre hantise. L'infirmière de la troupe, une jeunette en deuxième année de pharmacie, nous a distribué des pastilles pour l'eau de nos gourdes. Ca me rappelle la colo.
Et tout ça pour quoi? Notre récompense après l'effort : un hôtel avec piscine, ou au moins une simple cascade, la possibilité de prendre une douche, de faire sécher notre jean ? Non, seulement un des villages du peuple Akha, où, paraît-il, les habitants vivent totalement retirés de la civilisation. Retirés ou simplement exclus?
Ki...Ki...Ki...Je comprends les types qui deviennent  chasseurs et qui se mettent à tirer sur tout ce qui bouge!
Ah! la fin de journée. Je n'ai aucune idée de l'heure, pourquoi faire?
Nous sommes en face de trois ou quatre paillotes sur pilotis. Des femmes et des enfants à la peau très brune sortent pour nous accueillir.Les femmes portent des pagnes bleus foncés et un nombre impressionnant de bijoux, les enfants ; rien du tout.
On nous offre ce qui ressemble à de grosses pastèques ou des melons, peut-être? Une fois la peau enlevée, il ne reste qu'un fruit blanchâtre à peine plus gros qu'une petite pomme, je le goûte, c'est un pamplemousse.
Plus tard, nous entrons dans notre case. C'est un réel soulagement d'enlever enfin le jean seconde-peau.
Je le suspend à un fil pour le faire sécher tout en sachant qu'il restera  humide et flasque jusqu'à la fin de notre périple.
Je me laisse tomber sur le morceau de bois baptisé lit . Je lève la tête ... non, c'est pas possible!
-Qu'est-ce qui n'est pas possible ? demande ma compagne.
-Mais, là, sur le bois, regarde!
Elle voit comme moi une grande affiche de Clint Eastwood , clouée sur les rondins de la case.
L'inspecteur Harry, au fin fond de la jungle, chez les peuples reculés de la civilisation ! Un comble!
-Et alors? faut toujours que tu râles, me dit la douce. Viens, on nous attends pour le repas.
Je soupire. Au moins, on entend plus les oiseaux, c'est déjà ça.
Julius Marx

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