"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
mardi 2 octobre 2012
La langue de l'hiver
"Une journée d'un bleu lumineux, une couche de neige toute fraîche au sommet des montagnes, sur les arbres; les forêts éloignées en sont toutes givrées et les cristaux de glace étincèlent dans les airs. Je crois à la vieille légende de Jim Bridger, à l'époque où il a passé l'hiver du côté de Yellowstone.
Il est ensuite retourné dans l'est où il a raconté aux citadins de ces régions que quand les trappeurs essayaient de se parler, les mots gelaient en sortant de leur bouche; ils ne pouvaient pas entendre ce qu'ils se disaient les uns aux autres, parce que les paroles gelaient dès la seconde où elles franchissaient leurs lèvres- si bien qu'ils étaient obligés de ramasser les mots gelés, de les rapporter autour du feu de camp le soir et de les décongeler, afin de savoir ce qui s'était dit dans la journée, en reconstituant les phrases mot par mot.
Moi, je peux imaginer qu'il fasse aussi froid.
Ici, dans les montagnes, les flocons de glace brillent au soleil, lors des belles journées bleues, froides et ensoleillées; pas de neige, pas un nuage à l'horizon, mais des petites particules d'humidité gelée, de minuscules cristaux de glace semblables à des paillettes, qui étincèlent et jettent mille feux.
Breitenstein m'avait dit que quand il fait vraiment froid, ces cristaux microscopiques se heurtent dans la brise en émettant un tintement imperceptible, un bruit de clochette, de verres qui s'entrechoquent, un son magique.
Je peux me figurer un hiver si glacial, une journée dans les bois si distante, si éloignée de la chaleur, que l'humidité contenue dans l'haleine en vienne à geler, en faisant ce bruit de clochettes, à mesure que les mots vous sortent de la bouche.Je peux me figurer un hiver si solitaire, une si longue saison de silence, que l'on pourrait finir par oublier les habitudes de la parole, et qu'un trappeur pourrait s'imaginer qu'il parle, comme on se voit parler en rêve, sans émettre autre chose que le bruit des clochettes; ce serait une autre langue, la langue de l'hiver, de la détermination, de la pureté, une langue gelée."
Pour écrire Winter, notes from Montana (Folio 5071) Rick Bass prend ce qu'on pourrait appeler une retraite volontaire. Il veut s'isoler du monde moderne qui, bien évidemment, ne lui inspire que des choses négatives. Il veut se retrouver dans l'autre monde, celui plus sauvage qui ne pardonne jamais la moindre erreur, la plus petite faute, le mensonge.
Son roman, écrit comme un journal, se construit au fur et à mesure que l'hiver redouté approche.
La nature, les hommes, les animaux entrent et sortent de scène comme les personnages d'une pièce en trois actes; avant , pendant et après l'hiver.
Si l'on a choisi, comme lui, de se mettre volontairement en retrait, de faire l'apprentissage du moins, on retrouve bien des similitudes avec d'autres contrées isolées, beaucoup plus au sud.
Si les belles journées bleues se transforment en mois, c'est aussi un pays de lenteur " Un pays d'il y a longtemps. Une région où l'on apprend plus facilement certaines choses quand on les regarde arriver au ralenti."
Et puis, comme le personnage de Bass, on doit aussi faire ses preuves, montrer que l'on est capable de vivre comme les gens du pays (ceux qui vous observent toujours, avec un sourire, ou qui ouvrent de grands yeux étonnés si on se hasarde à prononcer quelques mots d'arabe.)
Enfin, comme dans le Montana si lointain, il ne se passe pas une journée sans que l'on lève la tête vers le ciel.
Julius Marx
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