"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
jeudi 13 mars 2014
La vie des mots
Notre monde actuel observé, l'oeil au microscope, devient un monde élémentaire dont l'agitation incohérente aboutit à des problèmes, à des hypothèses simplement médicaux. Faire le procès de la vitesse n'est pas une occupation sérieuse: nous savons tous, depuis des millénaires, que la vie de chacun de nous accélère sa vitesse, d'années en années, jusqu'à la fin. Il est sans doute dans la logique des espaces inimaginables que la vitesse accélérée de la terre et de ceux qui l'habitent soit de plus en plus soumise à un rythme inexorable, qui, à certaines heures consacrées à des méditations pénibles, nous conduit vers la fin de la présence humaine dans le jeu des cosmogonies entrevu par Arthur Rimbaud:" Un couchant des cosmogonies...comme on fut piètre et sans génie". Je cite de mémoire; mais cela me console, car j'estime que je ne fus pas plus sot qu'un autre en ne tenant pas compte de ce mot : génie.
A partir d'un certain âge, les mots perdent l'essentiel de leur signification sociale ou mondaine. Ils deviennent des mots usés jusqu'à la corde. Hélas, la vie des mots est plus brève que celle d'un centenaire, pour fixer une limite raisonnable. Le soleil brûle les mots, le froid les insensibilise, la misère les déforme jusqu'à la caricature. Les vieillards authentiques, comme les enfants, se servent de peu de mots pour vivre en société. Leurs mots, sans forme, qui sont peut-être, d'anciens sons et d'anciennes couleurs, ne sont utilisables que dans le silence qui précède la fin.
Pierre Mac Orlan
Entre deux portes (extraits)
Revue Esope 1er Janvier 1960
Textes réunis dans "Domaine de l'ombre"
par l'irremplaçable Francis Lacassin
Phébus (Mai 2000)
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