jeudi 20 mars 2014

Le Polar est Nostalgique


Le boulevard Voltaire, le Père-Lachaise, Simon connaissait le parcours par coeur, chacun de ses pas réveillait de vieux souvenirs. L'adolescence qui s'éloignait à tire d'aile pour fuir vers des contrées moins fleuries. Souvenirs, souvenirs, la voix de Johnny sur SLC, sa-lut-les-co-pains... Ceux des premières dragues, du temps où les bahuts n'étaient pas mixtes. Si l'on voulait rencontrer des filles, il fallait ruser, user de maints stratagèmes. Prendre le métro pour filer jusqu'à Saint-Paul près des lycées de Sophie-Germain ou Victor Hugo, deux grandes réserves de gamines à jupes plissées. D'adorables petites créatures auxquelles on parvenait parfois à arracher un baiser du bout de la langue et, dans les jours fastes,une branlette à la fin des soirs de boum.
Puis, après 68, la foultitude de manifs auxquelles il avait participé. Répu-Bastille, Répu-Nation. Impossible de les compter, tous ces cortèges maigrichons ou massifs suivant les jours. Dix mille selon les organisateurs, cinq mille à peine pour les RG. Refrain connu. Formule consacrée. Protestations tous azimuts. Franco, Pinochet, Jaruzelski, toute la sarabande des dictateurs. Les rassemblements du MLAC, l'anniversaire de la Commune, en 71, la solidarité avec les Vietnamiens, la mort du militant maoïste Pierre Overney en 72, deux cent mille manifestants, l'enterrement de Pierre Goldman en 79, vingt fois moins. Et comment oublier la foule silencieuse, commotionnée, si grave après la profanation du cimetière de Carpentras? Le cadavre d'un vieux juif exhumé par une bande de psychopathes et exposé hors de sa tombe, avec un simulacre d'empalement à l'aide d'un pied de parasol. François Mitterrand marchait dans le bataillon de tête. Un président de la République battant le pavé parmi la foule, ça ne s'était jamais vu. Ce jour-là, il ne portait pas la francisque au revers de son veston.
Et d'autres prétextes, plus futiles. Une visite du pape, par exemple, excellente occasion de se défouler en chantant de vieilles rengaines anticléricales. L'essentiel était de se retrouver dans la rue, au coude à coude, pour la bonne cause. De côtoyer une multitude de visages sur lesquels, il était impossible de poser un nom, depuis tant d'années, mais que l'on reconnaissait au premier coup d'oeil. On échangeait des saluts, des signes de connivence, il fallait crier pour s'entendre afin de couvrir la sono qui crachait des slogans à grand renfort d'effets Larsen, on croisait des copains dans la bousculade, de vagues connaissances, des gens perdus de vue depuis des lunes, l'occasion de s'échanger un numéro de téléphone, ou des coordonnées e-mails, en sachant  bien qu'on ne donnerait pas suite. Des mondanités sans conséquences. Une réplique du salon de Mme Verdurin(1), empesté par les effluves de merguez...



Aguigui Mouna, Mouna tout court, habitué de tous les défilés post-soixante-huitards, histrion bien connu entre la place Beaubourg et la rue Mouffetard, lointain héritier du provocateur Diogène, Mouna n'était plus là pour contempler le désastre, avec son antique vélo tout foutraque, sa barbe rongée par les poux. Un personnage inoubliable.
Ni ce vieux mec, impossible de l'identifier, de lui donner un nom, de l'affubler d'un pseudo... L'anonyme parfait , le fantôme intégral, ce grand-père aux cheveux blancs qui avait inlassablement vendu Le droit à la paresse dans toutes les manifs des années 70. Répu-Nation, Répu-Bastille. Vietnam/Franco. Franco/Vietnam. Hors ! Hors d'Indochine! USA/SA/SS!
Franco! Salaud, le peuple aura ta peau!
Thierry Jonquet
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte
Points n°1814
(1) A la recherche du temps perdu 
Images : 1 / La belle Angela, bien sûr ! 2/ Le très fameux Mouna 

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