jeudi 26 mai 2016

La vie anecdotique (3)





Peut-être vous souvenez-vous de mon gardien, coincé dans sa minuscule guérite de fer blanc ? Aujourd’hui, le gardien a changé et sa guérite également. Si la structure est restée identique, les autorités de la résidence ont fait ajouter à la boite un charmant petit toit bleu en forme de tétine. Mais, qu’importe, mon nouveau gardien ne s’attarde jamais dans sa nouvelle maison. Il fuit maintenant le soleil brûlant pour l’ombre d’un flamboyant sous laquelle il a posé une chaise rafistolée. Chaque matin et chaque soir, il arrose sans compter une plante à peine plus grosse qu’une brindille que son prédécesseur à planté juste à côté de la guérite. Si l’on s’approche de plus près, on peut voir deux minuscules feuilles au somment de la plante. Je pense qu’il n’a jamais vu La grande Illusion.

Dans la cour de récréation de l’école française, c’est le jour de la photo de classe. Dans leur uniforme orange et bleu, les enfants tardent à se placer. La maîtresse tente vainement de mettre un peu d’ordre dans ses rangs. Lorsque la directrice arrive accompagnée du photographe tout le monde se calme. Elle frappe dans ses mains et le silence s’installe.
-Bon, les enfants, nous allons prendre la photo. J’espère que vos parents ont tous pensé à vous amener chez le coiffeur pour faire défriser vos cheveux. Souriez !

8 heures du matin, dans le magasin d’alimentation de la résidence. 8 heures, pour les employés de la boutique et pour l’ensemble des travailleurs de la résidence, c’est un peu l’aube. Ici, l’essentiel se déroule la nuit et chacun traverse péniblement les heures de la journée, avide de crépuscule. Le responsable des commandes, un grand gaillard aux lèvres lippues, est assis près de la caisse. Manifestement, il a beaucoup de mal à garder ses yeux ouverts. Pourtant, l’arrivée d’un des livreurs de l’imposante brigade du magasin va le réveiller. Le nouveau venu porte une très grosse pastèque sur l’épaule. Lorsqu’il remarque que le fruit est collé à son oreille, le responsable se lève et lance, avec un sourire désarmant :
-Tiens, tu as changé de téléphone portable ?
Le caissier, les gamins qui lavent le sol carrelé et les quelques clients se mettent à rire.
La journée peut commencer.
En quittant le magasin, je pense bien entendu à Albert Cossery et à cette fameuse dérision.
« Intellectuels ou charretiers, marchands d’or ou mendiants, tous personnage à l’allure de prince exclu du festin royal, mais maniant allègrement l’insolence et l’humour contre toutes les formes de domination. Car ici, même les ânes quand ils braient, semblent se moquer du monde. »

Julius Marx

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