Nous partons
pour nous éloigner du lieu qui nous a vu naître et voir l’autre versant du
matin.
Nous partons à la recherche de nos naissances improbables. Pour
compléter nos alphabets.
Pour charger l’adieu de promesses. Pour aller aussi
loin que l’horizon, déchirant nos destins, éparpillant leurs pages avant de
tomber, quelquefois, sur notre propre histoire dans d’autres livres.
Nous partons
vers des destinées inconnues. Pour dire à ceux que nous avons croisés que nous
reviendrons et que nous referons connaissance. Nous partons pour apprendre la
langue des arbres qui, eux, ne partent guère. Pour lustrer le tintement des
cloches dans les vallées saintes. A la recherche de dieux plus miséricordieux. Pour
retirer aux étrangers le masque de l’exil. Pour confier aux passants que nous
sommes, nous aussi, des passants et que notre séjour est éphémère dans la
mémoire et dans l’oubli. Loin des mères qui allument les cierges et réduisent
la couche du temps à chaque fois qu’elles lèvent les mains vers le ciel.
Nous partons
pour ne pas voir vieillir nos parents et ne pas lire leurs jours sur leur
visage.
Nous partons dans la distraction de vies gaspillées d’avance. Nous
partons pour annoncer à ceux que nous aimons que nous aimons toujours, que
notre émerveillement est plus fort que la distance et que les exils sont aussi
doux et frais que les patries. Nous partons pour que, de retour chez nous un
jour, nous nous rendions compte que nous sommes des exilés de nature, partout
où nous sommes.
Nous partons
pour abolir la nuance entre air et air, eau et eau, ciel et enfer. Riant du
temps, nous contemplons désormais l’immensité. Devant nous, comme des enfants
dissipés, les vagues sautillent pendant que la mer file entre deux bateaux. L’un
en partance, l’autre en papier dans la main d’un petit.
Nous partons
comme les clowns qui s’en vont de village en village, emmenant les animaux qui
donnent aux enfants leur première leçon d’ennui. Nous partons pour tromper la
mort, la laissant nous poursuivre de lieu en lieu. Et nous continuerons ainsi
jusqu’à nous perdre, jusqu’à ne plus nous retrouver nous-mêmes là où nous
allons, afin que jamais personne ne nous retrouve.
Issa Makhlouf
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