Il y a un
moment précis dans le temps
Où l’homme
atteint le milieu exact de sa vie,
Un fragment
de seconde,
Une fugitive
parcelle de temps plus rapide qu’un
regard,
Plus rapide
que le sommet des pâmoisons amoureuses,
Plus rapide
que la lumière.
Et l’homme
est sensible à ce moment.
De longues
avenues entre les frondaisons
S’allongent
vers la tour où sommeille une dame
Dont la
beauté résiste aux baisers, aux saisons,
Comme une
étoile au vent, comme un rocher aux
lames.
Un bateau
frémissant s’enfonce et gueule.
Au sommet d’un
arbre claque un drapeau.
Une femme
bien peignée, mais dont les bas tombent
sur les souliers
Apparaît au
coin d’une rue,
Exaltée, frémissante,
Protégeant
de sa main une lampe surannée et qui
fume.
Et encore un
débardeur ivre chante au coin d’un pont,
Et encore
une amante mord les lèvres de son amant,
Et encore un
pétale de rose tombe sur un lit vide,
Et encore
trois pendules sonnent la même heure
A quelques
minutes d’intervalle,
Et encore un
homme qui passe dans une rue se retourne
Parce que l’on
a crié son prénom,
Mais ce n’est
pas lui que cette femme appelle,
Et encore,
un ministre en grande tenue,
Désagréablement
gêné par le pan de sa chemise coincé
entre son
pantalon et son caleçon,
Inaugure un
orphelinat,
Et encore d’un
camion lancé à toute vitesse
Dans les
rues vides de la nuit
Tombe une
tomate merveilleuse qui roule dans le
ruisseau
Et qui sera
balayée plus tard,
Et encore un
incendie s’allume au sixième étage d’une
Maison
Qui flambe
au cœur de la ville silencieuse et indifférente,
Et encore un
homme entend une chanson
Oubliée
depuis longtemps, et l’oubliera de nouveau,
Et encore
maintes choses,
Maintes
autres choses que l’homme voit à l’instant précis
du milieu de sa vie,
Maintes
autres choses se déroulent longuement dans le
plus court des courts instants de la terre.
Ils pressent
le mystère de cette seconde, de ce fragment
de seconde,
Mais il dit « Chassons
ces idées noires »,
Et il chasse
ces idées noires.
Que
pourrait-il dire,
Et que
pourrait-il faire
De mieux ?
Robert Desnos
(Fortunes)
Image : Rue de Vaugirard, Paris, mai 1968 ©Henri Cartier-Bresson
Il y aussi un moment précis
Où l'homme
qui a pour curieuse et surprenante
ambition
de transformer
la vie et sa banalité magique
en poésie
doit relire
Robert Desnos.
Julius
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