Nous sommes montés de la mer
comme du fond du
brouillard
continent perdu parsemé d’ossements humains de vestiges
archéologiques : habitation
provisoire, cinq couches
de tombes et par-ci par-là un
temple et un bureau de placement.
Nous avons lu les inscriptions en écriture cunéiforme : elles
parlaient de
nous
aussi n’avons-nous pas compris.
De temps en temps filait une voiture, carcasse calcinée sur fond de
moignons d’arbres. Au loin sifflait la sirène du brouillard. Les buissons comme
abattus par le poids de l’eau. Ici fut livré le dernier combat, précédé de
tâtonnements aveugles
et de contacts intermédiaires et de science exacte. Le guide indécis
ne savait rien de précis,
enrhumé, sa voix comme la voix du grillon.
Nous nous sommes garés dans une auberge routière.
Avons fait assez bonne chère
mais la patience manquait. Par la fenêtre on apercevait une statue de
pierre
aux formes érodées par l’eau : quelqu’un chevauche et quelqu’un
est chevauché.
Les yeux bridés, étranger au lieu, probablement d’Extrême-Orient, le
garçon.
Il faisait bon s’asseoir à côté de la cheminée, regarder la
télévision une télécommande
à la main, s’abandonner à la
façon des touristes et écouter
la voix montant de la boite à
lumière, ne parle ni ne blesse.
Continent perdu. Promesse tenue et non tenue, lieu
issu de la mer, lieu qui retournera à la mer, lieu pauvre en lumière,
lieu
où l’on désire revenir, vous savez comme riment
ces mots. L’orchestre bon, peut-être
nègre. Une certaine lourdeur de satiété après le repas aussi
la serveuse au sein nu nouvelle mode ne reçut-elle
qu’un coup d’œil rapide.
Il faut toujours voyager, ne pas s’installer, comme jeunes
nous le pensions.
Seul le voyage assure une perspective, rabais pour qui paie
d’avance. Rien que
sortir - crie le prisonnier qui cogne désespérément sur la
porte de la prison. Sortir
est aussi une loi de la nature : le poussin sortira de l’œuf,
sinon-
il mourra. Sortir est un droit. Exister non seulement ici
ou là
mais pour tous tant qu’il reste une chance plausible :
chanter sans parole, dans le mutisme du monde comme
la voix de la mer
un jour d’hiver, comme la nuit près de la plage,
s’asseoir parmi les étrangers et se taire
lorsqu’autour de soi tout s’engouffre vers le lieu d’où tout
sortit :
d’abord la végétation. Puis aussi les gens : hommes,
femmes et enfants, livres et montres à la main, tels des
réfugiés, billets,
lieu invisible, on appelle, autre lieu invisible,
on répond, les contrôleurs s’agitent et les soldats ration de
fer en main
portent des vieillards et de-ci
de-là tombe une valise : valise
blessée, atteinte, qui ne voyagera plus et les bateaux déjà
là, toujours
là les bateaux qui arrivent ou qui partent de toute éternité
et comme en rêve
un monde qui ne fut, couvert de débris de verre et de prophètes
d’apocalypse
et de cris en juif, en allemand, en arabe et les eaux submergent
tout à la dérobée et le sable doux comme il y a des années
et on s’habitue
et il fait bon s’allonger sur le sable et ne pas se réveiller.
Nathan Zach
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