Pour pénétrer dans la littérature Sud-américaine il existe de nombreuses portes (certains affirment même qu'il faut aussi traverser des jardins aux sentiers qui bifurquent).Alors, comment entrer sans prendre le temps nécessaire de les ouvrir toutes.Le chemin le plus court reste de suivre les conseils avisés d'une amie bienveillante (je sais de quoi je parle). Si par malheur ou peut-être à cause de votre caractère vous n'avez pas d'amies, ou que vos amies ne sont pas bienveillantes, il se peut même qu'elles soient aussi des fanatiques de thrillers-ésotériques ou de livres de souvenirs, de recettes de cuisine bulgare etc, vous avez le temps nécessaire de lire ce blog et vous n'êtes donc pas si malheureux que ça.
Je vous propose de débuter votre voyage initiatique par un roman policier. On sait que ce genre très prisé des riches héritières, des propriétaires de manoirs isolés et des colonels à la retraite n'est pas vraiment notre tasse de thé (nous préférons le café serré) mais certains textes méritent vraiment toute notre attention. Alors, profitons de l'orage pour nous asseoir dans ce beau fauteuil de cuir et ouvrir
Los que aman, odian (Ceux qui aiment, haïssent ) de Sylvina Ocampo et Adolfo Bioy Casares.
En 1945 Adolfo Bioy Casares et son vieil ami Jorge Luis Borges sont chargés par les Editions Emecé (Buenos-Aires) de fonder une collection de grands classiques. Le duo détourne aussitôt le projet pour publier les meilleurs auteurs de littérature policière.
En 1946, en collaboration avec sa douce moitié Casares propose dans la collection intitulée fort judicieusement El Séptimo Circulo (Le septième cercle-allusion au cercle des violents dans l'Enfer, de la Divine Comédie de Dante) Los que aman, odian. Ce roman n'est pas une parodie. Il reprend juste les clichés et l'efficacité narrative propre au genre. Lisez la scène d'introduction:
"Les derniers granulés d'arsenic (arsenicum album),insipides mais réconfortants, fondent dans ma bouche. Sur mon bureau, à gauche, j'ai un exemplaire du Satiricon de Caius Pétrone, superbes caractères de Boldoni et pages usées, semble t-il, par d'innombrables lectures, et à droite, un plateau parfumé avec du thé, de fragiles porcelaines et d'appétissants petits pots.Thé de Chine, toasts légers et friables, miel d'abeilles qui ont butiné des fleurs d'acacia et de lilas, voila dans quel paradis je vais me mettre à écrire l'histoire de l'assassinat de Bosque del Mar."
Avouons que le style sent un peu moins la naphtaline que celui des vieilles dames so british, non?
Lisons encore ceci :
"Je revins dans le hall. Cornejo, assis raide comme un piquet sur une chaise moderne, compulsait muni de lunettes, de papier et d'un crayon un gros volume. Quand je tombe sur quelqu'un en train de lire, mon premier réflexe, c'est de lui arracher le livre des mains. Je propose à l'amateur l'analyse de ce comportement : attrait des livres ou agacement de ne plus être le centre d'intérêt? Je me contentais de lui demander ce qu'il lisait.
-Un vrai livre, me répondit-il. Un guide de chemins de fer. J'ai en mémoire un plan du pays - limité évidemment au réseau ferroviaire- qui tend à englober les localités les plus insignifiantes, les distances qui les séparent et les horaires de voyage....
-Ce qui vous intéressent, c'est la quatrième dimension. L'espace-temps, déclarai-je.
Manning fit une remarque énigmatique:
-Moi, je dirais la littérature d'évasion."
Bon, maintenant je vous laisse ouvrir seul les portes. Sachez seulement que rien ne manque, et surtout pas la traditionnelle réunion ou le détective dévoile l'assassin.
Pour finir en beauté, voici une autre scène dont on ne se lassera jamais.
Julius Marx
Sylvina Ocampo et Adolfo Bioy Casares (Ceux qui aiment haïssent) Editions C.Bourgois.
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