vendredi 30 mars 2012

Salomé


D'un geste d'épouvante, Salomé repousse la terrifiante vision qui la cloue, immobile, sur les pointes; ses yeux se dilatent, sa main étreint convulsivement sa gorge.
Elle est presque nue; dans l'ardeur de la danse, les voiles se sont défaits, les brocards ont croulé; elle n'est plus vêtue que de matières orfévries et de minéraux lucides; un gorgerin lui serre de même qu'un corcelet la taille; et, ainsi qu'une agrafe superbe, un merveilleux joyau darde des éclairs dans la rainure de ses deux seins; plus bas, aux hanches, une ceinture l'entoure, cache le haut de ses cuisses que bat une gigantesque pendeloque où coule une rivière d'escarboucles et d'émeraudes; enfin, sur le corps resté nu, entre le gorgerin et la ceinture, le ventre bombe, creusé d'un nombril dont le trou semble un cachet gravé d'onyx, aux tons laiteux, aux teintes de rose d'ongle.
Sous les traits ardents échappés de la tête du précurseur, toutes les facettes des joailleries s'embrasent; les pierres s'animent, dessinent le corps de la femme en traits incandescents; la piquent au cou, aux jambes, aux bras, de points de feu, vermeils comme des charbons, violets comme des jets de gaz, bleus comme des flammes d'alcool, blancs comme des rayons d'astre.
J.-K Huysmans
(A rebours)
(Classiques-Pocket)
Comme Des Esseintes, le héros de Huysmans, nous rêvons tous un jour "à une thébaïde raffinée, à un désert confortable, à une arche immobile et tiède" où nous pourrions nous réfugier bien loin  " de l'incessant déluge de la sottise humaine.
Et puis, nous passerions nos jours à admirer la Salomé de Gustave Moreau.
Oui, je sais, c'est impossible.
Tant pis.
Julius Marx 

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