"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
jeudi 15 mars 2012
Les bons et les méchants
Si certains écrivains ont le pouvoir de nous faire croire en l'homme, de nous faire espérer encore en sa bonté, (Harrison, Carver ou Rea, par exemple) d'autres se montrent beaucoup plus réalistes en démolissant systématiquement dans leurs oeuvres notre chère humanité (Céline et son Voyage, évidemment.)
Dans l'univers du roman Noir, dont le postulat de base n'est pas de détruire obligatoirement, ce clivage existe aussi. Ainsi, du côté des bons, des tolérants, nous trouvons par exemple Serge Quadruppani qui ne cesse roman après roman(1) de se battre contre ceux qui ont baissés les bras.
Sur l'autre rive, oublions les opportunistes qui naviguent maladroitement sur les courants pollués de la mode pour nous concentrer sur les vrais méchants.
Pierre Siniac est de ceux-là. Dans son monde, la bonté est remplacée par l'avidité, l'amour par la haine imbécile , la solidarité par le profit immédiat et le bonheur par une vaine caricature.
Ses personnages sont tous plus ou moins marginalisés socialement même s'ils ont presque toujours un pied dans la bonne société, leur esprit est ailleurs, dans les méandres du mensonge, de la cupidité. En un mot, ce n'est pas la foi qui les caractérise mais la mauvaise foi. Ils sont veules, affreux , sales et méchants.Tristes et nécessaires incarnations de la nature humaine ces bataillons de vaincus, d'exploités, sont contraint de subir le règne du Mal, de lutter (souvent de manière maladroite) contre le pouvoir exercé par des salauds encore plus pourris .
Ainsi, Séverin Chanfier, le héros employé d'assurances du fantastique Femmes Blafardes n'est pas un privé courageux beau gosse et un peu casse-cou mais un être frêle, moche, avec des gros boutons sur le pif, qui lutte pour sa toute petite part de pouvoir et de fric et l'homme politique, sous-chef d'un parti chrétien et conservateur de Démago-Story révèle sa vraie nature dans une hilarante confession.
Paroxysme de l'horreur quotidienne, la série des Luj Inferman' nous raconte les croustillantes aventures d'une sale gueule, d'un petit crevé, perpétuel affamé et sadique à ses heures et de son compagnon, un mastodonte bouffeur d'oiseaux crus au sexe indéterminé !
Si l'on a parfois comparé Siniac à Céline c'est certainement pour cette vision méchamment noire des êtres humains.
Enfin, il faut tout de même signaler, et c'est important, que dans les romans de Siniac on se bidonne pas mal. C'est peut-être légèrement malsain je vous l'accorde mais tellement jouissif.
Alors,si vous n'avez pas encore lu Siniac, il est grand temps de vous intéresser maintenant aux anciens flics internés en asiles psychiatriques, aux nobles dépenaillés, aux mercenaires au chômage, aux membres d'un club d'assassins, aux mères maquerelles, aux anciens d'Indo, aux tueurs en série, aux fascistes en fuite.
Pierre Siniac est mort seul, abandonné, comme un chien, dans son appartement. Les voisins( alertés par l'odeur fétide) ne l'ont découvert qu'un mois plus tard en état de décomposition avancée.
Bonne entame pour un roman , non?
Julius Marx
Illustration : René Dary (Henry Ducrot dit Riton dans "Touchez pas au grisbi" personnage" Siniac" par excellence)
(1) Et également dans son blog " Les contrées magnifiques".
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire