jeudi 3 février 2011

Démocratie !



Vingtième jour (après B.A.)
Ce matin, je me rends chez M. Oui, rappelez-vous, celui que nous appelons  l'opposant... qui tient une quincaillerie en face du marchand "des 5 saisons".. Ca y est ? Bon, allons y.
Avant M, un petit tour à l'agence de voyage.
S. est  fidèle au poste, recroquevillé devant son ordinateur. Le cendrier devant lui  est déjà rempli à moitié.
Sa tête toute ronde avec sa tonsure en couronne, genre moine, émerge de la fumée. Il a les yeux très cernés, les paupières tombantes d'un fêtard qui n'aurait pas fermé l'oeil de la nuit.
Il me salue, me demande ce qui lui vaut le plaisir de ma visite.
Je lui réponds que je viens faire des changements dans mes réservations.
Il sourit.
-Du changement... y'en a pas mal en ce moment, me dit-il.
J'admets qu'il a raison. Je lui donne mes dates, il disparaît  dans la fumée.
Plus tard, chez l'opposant.
Deux hommes en burnous sont assis sur des pots de peinture et écoutent le tribun. Ils secouent la tête lentement, dociles, approuvant sans condition. Le sujet du jour, c'est la rocambolesque attaque du nouveau ministre des finances. L'homme (qu'on appelle ici Mr Propre)  travaille vite et nettoie bien. Son zèle lui a donc valu cette attaque surprise. Il se trouvait dans son bureau, en réunion avec le fameux général Amar qu'on ne présente plus. Je salue l'assistance et demande par qui ont-ils étés attaqués, des terroristes, des miliciens, des pro BA ? Réponse : par des policiers armés ! Heureusement l'assaut a été repoussé par des fidèles du ministre.
L'opposant marchand de peinture se lance alors dans une violente diatribe contre tous ceux qui ne veulent pas de la démocratie. Il tambourine sur la planche qui lui sert à mesurer la ficelle et les tuyaux de zinc, et martèle d'une voix forte, sans fausse note, que la démocratie se gagne, que tous les Tunisiens ont maintenant des responsabilités et des devoirs.
Les deux hommes se redressent, ils sont à deux doigts d'entonner l'hymne national.
Tranchant d'un coup sec leur élan patriotique, une grosse femme portant deux cabas remplis de légumes entre et demande illico combien coûte ce si joli rideau de douche avec des gros tournesols jaunes?
Vexés, les hommes la regardent ; ils grimacent.
L'opposant, à qui elle vient de couper la parole, soupire, donne le prix. La femme  hoche la tête et ressort sans dire au revoir.
Il se tourne alors vers moi et lance :
-Tu vois, y'a encore du travail!
Je sors à mon tour.
Avant de rentrer, j'achète le journal. La une me fait sourire ... " En pleine révolution, elle passait d'agréables vacances à Tabarka ".
Un homme en costume trois pièces et chaussures pointues, les cheveux lissés avec une demi-livre de fixatif, apostrophe la marchande de journaux, décidément, c'est une habitude!
Il se plaint que plusieurs pages de son journal sont mouillées, il ordonne à la marchande de rentrer ses présentoirs. Elle répond qu'il ne pleut pas assez! L'homme s'obstine. Il ne peut pas lire les trois dernières pages. En souriant, la marchande lui  conseille de regarder la télé. Il lève la tête vers les cieux , frappe dans ses mains et sort.
C'est bon d'être le  témoin d'un vrai débat démocratique.
Julius Marx
P.S. Sur les trois dernières pages, rien d'intéressant. Des mots fléchés avec :  excessif, ordre et gendarme.
 Un éphéméride  où l'on apprend que John Cassavetes, mort un 3 février, a réalisé, entre autres, Basic Instinct. Et puis, surtout que c'est la pharmacie Kardous qui sera de garde ce soir à Hammam Lif.

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