samedi 26 février 2011

Le cas Ellroy (1)



Expliquer Ellroy, t'es pas cinglé?
Oui, je sais. Mais, je vais juste tenter d'expliquer pourquoi j'aime tant cet auteur. Et puis, deux de mes copines m'ont avoué (le mot n'est pas trop fort) qu'elles avaient laissé tomber son dernier opus avant la cinquantième page, alors...
Ellroy c'est d'abord un style (je devrais dire, LE style). Un style purement cinématographique avec ses liaisons images sur images, scènes à scènes, chapitre à chapitre et surtout son temps elliptique.
C'est donc au spectateur/lecteur de compléter mentalement les parties manquantes de la ligne dramatique.
A la réflexion, c'est peut-être ça qui chagrine le lecteur, il doit se mettre au boulot. Oui, mais, il devient presque l'organisateur de l'ensemble, une sorte de narrateur bis, qu'est-ce que vous dites de ça ?
Pourtant, à  la différence de la structure cinématographique où un seul personnage prend en main le récit et le mène jusqu'à son terme, chez Ellroy,  le nombre élevé de personnages surprend.
Il surprend  parce tous sont impliqués dans le récit et de plus, ils ont tous une fonction précise .
Le principe de composition : entrelacer sans arrêt, d'un bout du texte à l'autre, le cours de plusieurs existences, sans qu'aucune ne domine complètement les autres, sans héros autour de qui tout s'organise.
On pense bien entendu à Dos Passos et sa trilogie USA, d'autant plus qu'Ellroy prend soin, comme son aîné, de placer des marques temporelles dans le texte, les unes ont trait à l'ancrage historique, les autres à la chronologie interne (lettres tapées à la machine, bulletins télévisés ou radio etc..)
Lisez maintenant cet extrait et puis, on en reparle..
Tout ce qu'exigeait ma mère, c'était que je maintienne un niveau raisonnable de silence et que je ne lui encombre pas l'existence de questions sur ce qu'elle pensait. S'y ajoutait son désir implicite que je sois discret en classe et à la maison comme dans mes jeux. Si elle considérait ses diktats comme des punitions, elle avait tort : dans ma tête, je pouvais aller où je voulais.
Comme tous les autres mômes du voisinage, je fréquentais l'école primaire de Van Ness Avenue, j'obéissais, je riais des bêtises et j'en étais blessé. Mais les joies et les blessures des autres enfants provenaient de stimuli  extérieurs alors que les miennes se réfléchissaient sur un écran que nourrissait tout ce qui m'entourait, cinéma strictement personnel dont les productions étaient réservées à mes propres séances à-l'intérieur-de-mon-cerveau; la séance débutait  grâce à un déclencheur mental dur et lisse comme l'acier qui savait toujours avec exactitude ce dont j'avais besoin pour m'empêcher de m'ennuyer.
James Ellroy - Un tueur sur la route- Rivages Noir (1999)

Les scènes également sont elliptiques (voir l'article Uppercut dans ce blog). L'auteur privilégie toujours l'action au détriment des descriptions de personnages ou de lieux. Il va vite, très vite. Si vite que parfois, c'est vrai, il prend tant d'avance qu'on doit foncer pour le rattraper.
Ce qui explique sa "mutation"depuis les premiers romans comme Un tueur sur la route  dont vous venez de lire un extrait , c'est certainement l'urgence. L'Amérique  décrit dans la trilogie se retrouve plongée dans un chaos permanent. C'est évident, on ne peut parler de cette époque calmement!
Un dernier détail. Si vous lisez le dernier opus Underworld vous vous apercevrez que la première scène clé (celle de l'attaque du fourgon blindé) est écrite de manière classique (voir très classique) détaillée, découpée et presque légendée.Un peu comme ci l'auteur nous disait  "cette scène fait partie d'un autre temps, d'une époque où l'on écrivait comme ça" Et puis, ensuite, c'est la course poursuite qui débute pour finir par l'apocalypse.
Ceci me rappelle la première scène de "La cinquième victime" de Fritz Lang (voir la photo d'illustration de l'article)  ou le cinéaste  met en scène le premier meurtre. Nous avons ici la quasi totalité des clichés du film noir. Ensuite, Fritz Lang s'intéresse plus aux personnages et à leurs motivations.
Un peu comme s'il nous disait "bon, maintenant que vous avez eu ce que vous vouliez, passons aux choses sérieuses".
Prochainement, nous parlerons, avec les courageux qui ont vaillamment résisté à cet article, de la filiation Ellroy/ Moisson Rouge.

Pour finir, et pour nous délasser un peu,  je publie maintenant l'interview que James Ellroy aurait du m'accorder lors de son dernier passage à Paris.
Il me reçoit dans sa chambre d'hôtel. il est couché sur le lit, baskets aux pieds. Ses petits yeux m'observent. On dirait des yeux de doberman, ou d'un autre chien dressé à tuer. Un court instant, j'ai envie de miauler, juste pour l'emmerder mais, je renonce. Allez, je me lance.
JM- Il y a la phrase de Chandler, j'ai cessé de voir le vie en Technicolor le jour ou j'ai arrêté de boire.
C'est pour cette raison que vous faites du roman noir?
JE- Question à la con.
JM- Oui, bon... Et Hammett, la Moisson rouge?
JE- Merde mec ! Ces deux types sont  crevés !
Il s'est subitement redressé. Il me balance tout ce qui se trouve sur sa table de chevet : verre de whisky, pot de fleurs et gros bouquin.
J'esquive, et plonge sur la carpette. Lorsque je refais surface, il se trouve face à moi, à quatre pattes.
Il grogne. Un léger filet de bave coule depuis la commissure de ses lèvres pincées.
On frappe à la porte de la chambre. C'est le garçon d'étage.
-Monsieur, tout va bien?
D'un geste lent, calculé, j'attrape le bouquin à mes pieds. Je regarde la couverture : Jean-louis Debré, Meurtre à l'assemblé.
Le cabot n'a pas bougé, il empeste le whisky.
Je balance le bouquin. Les 275 pages, à 17 euros et 1O centimes( livraison gratuite) lui ratatinent le museau.
Il jappe, puis, hurle à la mort.
Derrière la porte, le garçon d'étage à rameuté la moitié du personnel de l'hôtel : on crie, on vocifère, on invective.
Je n'ai plus qu'une solution, la fenêtre..
Avant de sauter, j'ai tout juste le temps d'apercevoir la porte de la chambre qui se pulvérise en mille éclats et puis, la meute de hyènes qui se précipite en poussant des cris pointus.
Dehors, je me relève. Heureusement, ce salopard de clebs a loué une chambre au rez-de chaussée .
Logique, beaucoup plus facile pour sortir faire ses besoins..
Je crache dans l'ombre de velours noir d'un manzanitas.
Après tout, c'est peut-être ça lire Ellroy, un putain de combat..
Julius Marx

1 commentaire:

  1. Le chien lui va tellement bien!
    Bon, il se peut que je tente à nouveau de pénétrer l'underworld...un jour où
    j'aurai envie de me battre?
    N'empêche, j'aimais beaucoup ta première question.

    RépondreSupprimer