mercredi 6 juin 2012

Histoires comme-ci, comme çà (14)

Comment je suis devenu un sniper




Toulon.1972.
Une horde sauvage de barbus-chevelus, hirsutes, se présente devant les portes de la caserne.
Le gardien sort de sa guérite et nous fixe avec un petit sourire narquois.
Plus tard, les gradés observent notre groupe de rebelles avec un autre sourire, plus carnassier, qui veut dire : on va vous dresser, bandes de gonzesses dégénérées.
Mais, ceux qui nous attendent avec encore plus d'impatience, ce sont les coiffeurs de la compagnie.
Rien que pour nous," les hippies", ils jurent sur leur Saint patron du cheveux de faire preuve d'un zèle inégalé. Ils promettent de transformer les jeunes loups en innocentes brebis en deux temps trois mouvements.
Mais, pour le moment, avant de passer au rasage intégral, dans la longue file  qui s'étire devant le salon de tortures, nous jouons à un petit jeu.
Nous nous faufilons derrière un petit rassemblement d'individus et nous allumons quelques foyers dans leurs touffes frisées. L'odeur les fait sursauter puis, ils courent jusqu'au robinet le plus proche.
Une simple observation de nos coutumes aurait  largement suffit aux autorités pour évaluer notre niveau intellectuel. Pourtant, on nous pousse vers la salle de classe pour une dictée.
Le sergent-chef se présente et débute sa lecture comme s'il prenait d'assaut la colline de Verdun.
Nous comprenons un mot sur deux. Dans un premier temps, il répète les phrases. Puis, il s'énerve assez vite.
-Vous vous foutez de ma gueule les bleus bites. Je pale pas bien le fançais ou quoi?
La moitié de la classe se marre.
-Je vais vous faie passé l'envie de igolé moi, bande de pédés!
Après trois ou quatre tours de la caserne au pas de course, le sergent-chef décide d'annuler l'épreuve dictée.
Le jour suivant, c'est l'épreuve de tir qui nous attend. Pour cela, il faut grimper le Mont Faron pour retrouver les cibles et les instructeurs.
J'ai la malchance de finir la journée dans les cinq premiers tireurs du classement.
La malchance, car il me faudra venir défendre les couleurs de la compagnie dans la compétition du dimanche matin. Pendant ce temps-là, ceux qui ont échoués, obtiendront leur première permission!
J'ai la tête ailleurs. Le résultat est à la mesure de ma concentration. Mon total lamentable nous fait perdre la tête du classement. Sur le chemin du retour, les gradés ne m'adressent pas la parole, les appelés nous plus.
Le soir, mes camarades de chambrée ( vous vous souvenez , les rebelles..) décident de me mettre en quarantaine pour me punir de ma mauvaise action.
Depuis ces temps mémorables, je réserve mon adresse au tir aux seules fêtes foraines. Le vin mousseux ou l'ours en peluche, qu'importe, la vie continue.
Julius Marx

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