mardi 19 juin 2012

Histoires comme-ci, comme çà (16) Suite et Fin



Pour qualifier le studio où va se dérouler l'émission le premier mot qui vient tout de suite à l'esprit est cagibi. Le mobilier ne se compose que de cinq fauteuils et d'une table basse. Personne n'a jugé utile de décorer un peu les murs.Une demi-douzaine de projecteurs sont plantés entre les sièges ou fixés sur une rampe au plafond.
Lorsque nous entrons, les deux caméras sont braquées dans la direction d'une petite niche voisine où un présentateur distille quelques nouvelles du monde aux insomniaques avec une mine de circonstance.
La secrétaire de production nous annonce qu'ils nous reste encore vingt minutes avant le direct.
Pierre B a le nez dans ses fiches. Le grand type regarde autour de lui avec l'air d'un gamin attardé qui découvre la caverne d'Ali Baba.
Après un long silence, qui nous semble une éternité, les retardataires débarquent dans le studio.
Si on a la chance de faire partie de l'élite intellectuelle de la capitale, il est important de ne jamais se présenter à l'heure indiquée. Il faut également saluer le petit personnel aussi chaleureusement que votre tante du Loir et Cher, montrant avec ce geste symbolique que vous avez su rester humble malgré votre statu.
Les nouveaux arrivants sont: un journaliste de L'évènement du Jeudi (un canard gauchisant de l'époque) et le frère d'un présentateur vedette du J.T.
Le pigiste s'efforce de parler en laissant suffisamment traîner les mots pour nous donner le temps nécessaire d'apprécier sa prose. Le frangin reste les yeux levés au ciel, recherchant sa muse entre les projos 4 et 3.
Mais, dès la lumière rouge annonçant la prise d'antenne, les deux spécimens se métamorphosent.
Le journaliste arrange sa cravate et prend la position vaguement avachie, la main posée sur le dossier du fauteuil, qui sied à son rang. Son acolyte se décoiffe et ouvre largement les pans de sa chemise blanche.
La représentation débute avec le représentant de la noblesse. Pendant une bonne demie-heure, ces messieurs cherchent ensemble une bonne définition de l'aristocratie. La conversation entre personnes convenables et responsables ne s'égare jamais sur le terrain de la vulgarité. Je garde ma version de salopards-profiteurs pour moi. Pourtant, lorsque l'animateur du cercle me pose la question, il faut bien lui répondre quelque chose. J'opte pour une version soft de privilégiés-argentés.
L'échalas secoue la tête. Il considère ma réponse comme un cliché. Les deux laquais volent à son secours. Qu'importe!
C'est à nous !
La première question me fait basculer de mon siège :
-Sommes-nous les Paul Reboux de l'ère moderne?
Mince, j'aurais du réviser mes classiques. Qui est ce type?
Heureusement, les duetists sont lancés. Ils expliquent, argumentent et commentent.
Thèse, synthèse et antithèse.... faut-il vous l'emballer?
Nous voyant proches de sombrer dans un profond sommeil, le journaleux tente une approche fraternelle. Il annonce qu'il rêve d'être pastiché à son tour.
Pierre B en profite pour me demander quel titre je donnerais, là, tout de suite, à son vénéré journal si, un jour, je décidais de m'attaquer à l'hebdomadaire préféré des gauchistes culturés.
Je répond illico:
-L'Endormant du Jeudi.
Le courageux journaliste regrette aussitôt son geste diplomatique.
Pierre B sourit.
Fallait pas me chercher.

Julius Marx

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