lundi 25 mars 2013

Le polar est Implicite


Il tourna le bouton de la porte et pénétra dans une longue pièce étroite toute sombre malgré ses nombreuses fenêtres. Il y avait des arbres tout contre les fenêtres, et leurs feuilles venaient s'écraser contre les vitres. Certaines des fenêtres étaient cachées derrière leurs rideaux.
La jeune femme qui se tenait au centre de la pièce ne fit pas un geste quand Delaguerra entra. Elle se tenait immobile, les yeux fixés à une fenêtre.
Elle était grande, et ses cheveux d'un roux éclatant paraissaient capter toute la lumière disponible pour faire une sorte de halo autour de son visage à la beauté froide. Elle portait un tailleur sport de velours côtelé bleu qui faisait ressortir la finesse de sa taille. Une pochette de soie blanche dépassant d'une poche constituait la seule tache claire.
-Je ne pense pas que vous trouviez grand chose, dit-elle en tournant le dos au policier; c'est vraiment dommage que vous n'ayez qu'un peu de chantage à lui reprocher, jusqu'ici.
Delaguerra resta un moment le souffle coupé, puis fit demi-tour.
-D'accord! dit-il.
Sa voix était tout à fait impersonnelle maintenant, comme s'il venait de parler du beau temps, par une belle journée où personne n'aurait été assassiné.
Arrivé à la porte, il se ravisa pourtant :
-Je vous verrai dès mon retour, Belle. J'espère que vous aurez retrouvé un peu de votre équilibre.
Elle ne répondit pas un mot, ne fit pas un geste. Elle tenait toujours à la main la cigarette qu'elle n'avait pas allumée.
Delaguerra attendit, puis reprit :
-Vous devriez tout de même comprendre ce que je ressens. Donegan et moi, nous étions comme deux frères, jadis...Je... j'avais cru comprendre que vous ne vous entendiez plus très bien, vous deux... Je suis vraiment heureux de voir qu'il n'en était rien. Mais ne vous mettez pas dans des états pareils, Belle. Vous savez que vous pouvez compter sur moi.
Il attendit encore, la regardant qui lui tournait le dos. Quand il vit qu'elle ne bougeait pas et ne disait toujours rien, il se décida à s'en aller.
Raymond Chandler
Spanish blood
Black Mask, novembre 1935

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