mardi 19 mars 2013

Une délirante symphonie


"A cinquante ans bien sonnés, le docteur Saverio Landolina, gynécologue de Vigàta, estimé et sérieux, perdit la tête pour Mariuccia Coglitore, vingt ans. L'amour réciproque naquit au premier coup d'oeil.
Jusqu'alors, les parents de Mariuccia  avaient eu comme médecin de leur fille le Pr Gambardella , nonagénaire, dont l'âge avancé garantissait sans réserve que les explorations intimes se déroulaient dans l'absolu respect de la déontologie. Mais le Pr Gambardella était tombé au front, foudroyé par un infarctus : la mort l'avait cueilli, comment dire, la main dans le sac d'une patiente atterrée.
Le Dr Landolina fut choisit au cours d'un conseil de famille étendu jusqu'à la parentèle du second degré. Les Coglitore, avec les cousins Gradasso, Panzeca et Tuttolomondo, représentaient à l'intérieur de Vigàta une espèce de communauté catholique intégriste qui obéissait à ses lois propres, telles la fréquentation de la messe chaque matin, la prière vespérale avec récitation du rosaire, l'abolition de la radio, des quotidiens et de la télévision. Une fois écartés, au cours de cette réunion, le Dr Angelo La Licata, de Montelusa ("Celui-là, il met les cornes à sa femme: et s'il contaminait Mariuccia avec ses mains impures?"), son collègue Michele Severino, toujours de Montalusa (" Vous voulez rigoler? Celui-là, il a même pas quarante ans."), le Dr Calogero Giarrizzo de Fela (" Il paraît qu'on l'a vu acheter une revue pornographique"), ne resta plus que Saverio Landolina , dont le seul défaut était d'habiter à Vigàta,
comme Mariuccia : la petite, en le rencontrant  par hasard dans la rue pourrait se troubler.
Pour le reste, rien à dire sur le Dr Landolina, ancien secrétaire local de la Démocratie chrétienne : il était depuis vingt-cinq ans l'époux fidèle d'Antonietta Palmisano, espèce de géante au sourire gentil, mais le Seigneur n'avait pas voulu accorder au couple la grâce d'un enfant. Sur le médecin, jamais une rumeur mauvaise, pas le moindre ragot.
Jusqu'au moment où Mariuccia ,se dressant sur le siège devant le bureau, s'en alla derrière le paravent  pour se déshabiller , dans le coeur du gynécologue, il ne se passa rien d'étrange. La fillette à lunettes qui répondait pas monosyllabes, en rougissant, à ses questions, était parfaitement insignifiante. Mais quand Mariuccia, dans sa pudique combinaison noire et sans lunettes ( elle se les enlevait machinalement chaque fois qu'elle se déshabillait ), sortit de derrière le paravent et, la peau rouge feu de vergogne, se plaça sur la table d'examen,dans le coeur du quinquagénaire Landolina se déclencha une délirante symphonie  qu'aucun compositeur doué de raison ne se serait jamais hasardé à composer: aux roulements de centaines et centaines de tambour au galop succédait le haut vol d'un violon solitaire, à l'irruption d'un millier de cuivres s'opposaient deux pianos liquides. Il tremblait tout entier, il vibrait même, le Dr Landolina, quand il posa une main sur Marriuccia et aussitôt, tandis qu'un orgue majestueux attaquait son solo, il sentit que le corps de la jeune fille vibrait à l'unisson du sien, répondait au rythme de la même musique."

Pour ceux qui aiment à fréquenter le Dottore Montalbano, il est urgent de se procurer vite fait le livre Un mese con Montalbano ( Un mois avec Montalbano) chez  Pocket.
Les  trente nouvelles qui composent ce livre sont une sorte d'hommage au peuple de Sicile, à ces personnages si caractéristiques et Pirandelliens  comme, par exemple;  Calorio, le mendiant instruit grand amateur de livres," qui porte des braies faites plus de pertuis que d'étoffe, serrées à la taille par une corde, et une veste rapiécée comme un costume d'Arlequin",Michela Prestia, la jolie brune," les yeux étincelant sans cesse, malgré le besoin, d'une espèce de bonheur de vivre", Madame Landolina,"la géante au sourire gentil,"le proviseur Borgio et sa femme Angelina " dont la cuisine reste simple et très sagace" et  Madame Clementina Vasile Cozzo, l'ancienne institutrice, paralytique, que Montalbano aime d'une manière quasi-filiale.
Ce petit monde de Montalbano, jusque là habitué aux seconds rôles, incarne au fil des trente histoires courtes le rôle principal. Cet hommage touchant et magnifique  à la Sicile et à son peuple, même s'il est  teinté d'une certaine nostalgie, ravit  le lecteur Montalbanien  en  lui donnant l'occasion de s'inviter dans la famille, ce qui n'est pas si fréquent sur l'île.
Le lecteur comprend aussi  que ce peuple compose le précieux socle de l'univers du Maestro Camilleri, sans lequel les intrigues sembleraient bien plates.
Ces textes, sont beaucoup plus qu'un hommage à Pirandello ou à Sciascia, ce sont des déclarations d'amour. Et ça, croyez-moi,  c'est beaucoup moins  fréquent  que de se prendre un coup de Lupara lors d'une ballade matutinale et solitaire.
Allez, zou, je vous laisse, les poulpes vont brûler !
Julius Marx

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