mercredi 13 mars 2013

Le polar est Métaphore



Richard Watt, journaliste anglais engagé, s'est exilé dans un village d'Italie pour fuir une Angleterre qui a sombré dans la dictature. L'Ecosse et le Pays de Galles viennent même de faire sécession. Le nouveau premier ministre Jobling se refuse à organiser des élections à expiration de son mandat et réprime férocement toute opposition politique. Watt  reçoit la visite de deux vieilles connaissances (Janet et Malcolm) sur les lieux de son exil. 

Janet se pavanait , vêtu d'un bikini coupé pour un corps de jeune fille, en dépit du fait que le sien atteignait des proportions effrayantes. Son épiderme était intégralement rouge écrevisse, à part quelques zones que des replis avaient protégées du soleil. Allongée sur la plage d'Alberese, elle ressemblait à une blessée mortellement atteinte quelque temps plus tôt qui attend stoïquement la fin.
Ses seins gîtaient fortement vers l'extérieur, sous le soutien-gorge qu'ils tendaient comme une amarre au point que ses joyeuses rayures en étaient vrillées; ses mamelons sphériques étaient d'une teinte pâle, son ventre distendu par des muscles adipeux et le tissus rosâtre entourant une cicatrice latérale ancienne. En regardant fixement un voilier voguant au large, je parvins tout juste à ne pas sentir dans mon propre estomac l'endroit où le bistouri du chirurgien  avait sondé le sien à la recherche de Dieu savait quoi. On peut penser qu'elle n'était pas responsable de cette opération; cependant, c'est à elle seule que l'on peut reprocher de ne pas masquer le champ de bataille au regard des autres. Les Français n'ont pas tous envie qu'on leur rappelle constamment Verdun.

Elle s'est également faire retendre la peau -encore un signe,me semble-t-il, qu'elle n'a guère cherché à analyser son passé, ou à déterminer ce qui lui est possible de faire, ce qui peut paraître crédible chez elle: c'est certainement à ce genre d'analyse que sert l'intelligence. Tout en elle est tellement usé, à part son cerveau, qui est pratiquement neuf. Car le lifting n'est pas une réussite. Quand elle transpire en plein soleil, les coutures apparaissent nettement autour de son menton, et on voit de quelle façon les plis de sa gorge ont été retendus et cachés sous la mâchoire; idem pour la peau qui borde ses yeux pâles et fatigués. Quand elle voit que je la regarde, Janet  se hâte de mettre ses lunettes de soleil et tourne la tête pour contempler le ciel-fleur terriblement fanée alanguie sous le soleil brûlant, qui calcine cette tragique offrande.

Robin Cook 
A State of Denmark
(Quelque chose de pourri au Royaume d'Angleterre)
Rivages Noir /  n° 574

Dans ce formidable roman visionnaire d'un noir d'ébène, Robin Cook décrit de fort belle manière  l'Etat que son personnage Watt vient de quitter  grâce à l'état général de Janet, la femme qui va causer sa perte.
Efficace et poétique, n'est-il pas ?
Julius Marx

De Robin Cook, on peut (et on doit) lire absolument tout.On peut aussi lire le très bel article que lui a consacré son pote Manchette dans ses chroniques (Rivages-Ecrits noirs)



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