lundi 29 juillet 2013

Carte postale


Lire sur la plage est un exercice plus que périlleux et demande une concentration extrême.
Tout d'abord, il y a les conditions climatiques qui sont un peu contre le courageux lecteur. Le vent, bien entendu, mais aussi le sable qui vient se coller partout!
Parlons aussi du son ambiant (les cris d'enfants, celui-là qui appelle sa dulcinée, celui-ci qui pense que tous le monde doit absolument connaître les résultats du Loto, et puis, hélas, la musique; disons plutôt ce bruit sourd qui vient d'on ne sait où.
Enfin, il y a aussi ce que j'appellerai les éléments extérieurs. C'est à dire, tant d'autres histoires de la vie ordinaire qui se jouent, là, juste au pied de notre transat. Alors, on ne peut que lever les yeux de notre roman pour en suivre un autre. Comme l'histoire qui suit, publiée il y a déjà trop longtemps.
A bientôt
Julius

Comment j'ai rencontré le chien de Fellini 

Août 2003. Rosetto Degli Abruzzi. Italie.
Incontestablement, le ciel est de couleur bleu azur.
Après un bon café au bar Delle Rose, une visite au marché, je rejoins notre place réservée sur cette longue plage de sable fin de l'Adriatique.
Rangée numéro trois : deux parasols et quatre transats.
Ce village et ses habitants vous donne une petite idée du Paradis. Au Bar de plage de l'hôtel voisin, on vous sert le Campari avec des olives, du fromage et une assiette de friture, sans aucun supplément de prix, même le sourire est toujours compris.
J'ai emporté  Nouvelles pour une année de Pirandello. Les 247 nouvelles qui composent le bouquin naissent dans les 3600 pages du livre et s'achèvent devant mes yeux, sur le sable, parmi les familiers de la chaise-longue.
Pour que débute cette histoire, il faut attendre 17 heures. Laissons donc le temps s'étirer lentement entre les rires lointains des enfants, la musique au tempo saccadé venant de la piscine de l'hôtel poussée sans ménagement par la brise marine entre les branches des palmiers, le cri du marchand ambulant de noix de coco et la voix sourde, noyée dans le grésillement familier du haut-parleur fixé sur le toit d'une voiture, qui annonce le spectacle de cirque de la soirée, l'élection d'une Miss ou le grand film projeté dans les jardins de la Mairie.
Juste le temps d'achever la nouvelle intitulée Rien et voici qu'arrive le héros de cette fin d'après-midi.
Comme chaque jour à la même heure, il redescend tranquillement l'allée centrale de notre plage.
 A son passage, les occupants de la rangée quatre se relèvent. Un papy de la rangée deux réveille sa compagne qui dormait avec un journal sur le visage. Quelques enfants courent derrière lui en chantant ses louanges. Et puis, les baigneurs l'accueillent chaleureusement comme l'un des leurs. Il plonge dans l'eau claire et batifole sous les acclamations, les applaudissements, les rires. Notre héros n'est pas un héros comme les autres. Court sur pattes, le noir et le blanc se disputent la suprématie de son pelage. On retrouve également cette pacifique bataille autour de ses yeux : le gauche est entouré de noir et le droit de poils blancs. Personne ne prend le risque d'annoncer son appartenance à une race quelconque, mais à quoi bon? Cette singularité le classe illico dans la grande famille des chiens de cirque ou de cinéma.
Son bain quotidien achevé, il s'ébroue au milieu d'un cercle d'enfants qui piaillent de joie.
Maintenant, il a quelque chose de très important à faire, le temps du jeux et du divertissement est terminé. Là-haut, sur la longue route droite qui souligne la plage, quelqu'un l'attend.
Sur les conseils de notre maître-nageur je décide de le suivre.
Comme le ferait un promeneur nonchalant, il remonte la route en accordant, çà et là, ses faveurs à quelques jolis troncs de palmiers.
Celle qui l'attend est une femme. Elle est vêtue d'une large blouse fleurie. Cette blouse, c'est le véritable uniforme des femmes des Abruzzes d'un certain âge. Le touriste égaré la pendrait par mégarde pour la femme de ménage de l'hôtel mais, il devrait très vite réviser son jugement hâtif car c'est en fait la patronne très autoritaire de l'hôtel Bella Vista.
Les deux mains posées sur ses hanches généreuses, le regard droit, fixé sur l'interminable rangée de palmiers, elle attend son intrus, son malotru de 17 heures.
L'indésirable, c'est bien entendu notre héros. Pour l'instant, il se fait oublier, caché derrière le tronc imposant d'un palmier.
La matrone jette un regard circulaire, frappe du pied sur le trottoir et décide de retourner à ses affaires. Aussitôt, le chien sort de sa cachette et trottine jusqu'à l'endroit précis où se trouvait la femme quelques secondes auparavant.
Tranquillement, il dépose un joli colombin, devant la belle entrée de ce prestigieux hôtel.
Il décide de ne pas rester plus longtemps sur les lieux de son forfait. Et il a bien raison. La femme resurgit telle une furie, en criant. Trop tard, notre héros a déjà disparu.
La patronne de l'hôtel Bella Vista jette sa savate en direction du fugitif et lève les yeux en implorant le ciel.
Cette singulière histoire a débuté avec Pirandello et s'achève donc avec Fellini.
Pendant que la patronne de l'hôtel s'occupe de la pièce à conviction abandonnée par ce sacripant de la gente canine, la voiture de l'animation revient à notre hauteur. Elle annonce un magnifique et impressionnant défilé de mode pour le soir-même suivi d'un concert de l'harmonie Municipale.
Ah ! Bien, encore du spectacle.
Julius Marx

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