vendredi 19 juillet 2013

Le Frelon (2)


L'homme était énorme en long comme en large.Il avança en direction de notre frelon, roulant des épaules, balançant les bras : sa tignasse rousse ébouriffée, les yeux flamboyants.
Denis recula. Un feu ardent lui brûla le dos.
Le molosse avançait toujours.
Denis put distinguer très nettement son visage ; il le regretta aussitôt.
L'homme avait un oeil unique, un nez écorché et les deux joues griffées ; un vrai masque de gorgone sanglante aux mains d'airains et à la chevelure hérissée de serpents.
Le cyclope plongea tout d'un coup vers l'avant.
Denis tenta un bond de côté mais la bête le rattrapa . Ils roulèrent sur le sol. Courageusement, Denis martela  son adversaire de coups de poing sur ses flancs. Le molosse plissa juste légèrement le front et retourna Denis aussi facilement qu'une carte. Il enfourcha notre pauvre frelon et se mit à rugir. Son énorme main battoir frappa Denis sur la tempe.
-Assez, ça va comme ça! fit une voix.
Une autre figure rouge violacée se présenta au-dessus de celle du géant.
Denis eût tout juste le temps de remarquer la trogne carrée comme une bûche de celui qui venait de parler et le drôle de petit chapeau fripé qu'il portait, avant de sombrer.
Les deux vagabonds demeurèrent accroupis, dévisageant Denis avec intérêt, pendant plusieurs minutes.
L'homme au drôle de chapeau se redressa.
-Qu'est ce qu'on en fait ? demanda le molosse.
L'autre tordit ses lèvres puis, considéra le costume de bonne coupe que portait Denis, avec une attention soutenue.
Il se déshabilla rapidement , ne conservant qu'un tricot de corps troué et crasseux.
Le costume de Denis n'était pas exactement à sa taille mais, il s'en contenta. Il retroussa les manches et les bas de pantalon tandis que le molosse enfilait sans grande difficulté le gilet rayé.
-Ben mon vieux, un vrai milord, siffla le molosse qui voyait pour la première fois son compagnon d'arme en costume.
-Ouais! ca va, grogna l'autre. Garde tes remarques pour toi.
Il palpa la poche intérieure du veston et trouva un épais portefeuille.
-Tu veux que je te dise, c'est notre jour de chance, dit-il en montrant la liasse de billets. Ce type, c'est le seigneur qui nous l'a envoyé !
Le molosse, qui n'entendait rien aux choses de la spiritualité, grogna de contentement et dodelina sa grosse tête comme un bon toutou.
-Allez, on fiche le camp, décida l'homme au drôle de chapeau.
Ils récupérèrent le grand sac contenant deux chandeliers, quelques pièces d'argenterie et une demi douzaine de cadres guillochés et se glissèrent hors du salon.
Dans le couloir, l'homme au drôle de chapeau se débarrassa de son long paletot rapiécé et enfila le manteau en poil de chameau de monsieur Denis.
-Un vrai miracle, commenta-t-il encore en enfilant le manteau.
Il regarda le plafond du couloir et lança : "merci mon Dieu" en joignant ses mains.
Le molosse leva lui aussi la tête et ne distingua que des poutres recouvertes d'une épaisse couche de peinture verte.
Les deux malfaiteurs remontèrent la grande allée du parc sans échanger le moindre mot. Ils escaladèrent le muret avec la grande expérience des gens de leur caste et se retrouvèrent vite sur le trottoir. Alors qu'ils passaient devant la grille d'entrée, l'homme au drôle de chapeau s'arrêta. Il se gratta le menton et se fendit d'un léger sourire.
-Mais, qu'est-ce que tu fabriques ? demanda le molosse totalement ahuri, en voyant son compagnon agiter vigoureusement la sonnette.
-J'aide la police, répondit l'autre, le visage hilare. Il y a un voleur dans cette maison et j'ai horreur des voleurs. En deux mots, je fais une bonne action.
Le duo se mit à rire. Leur rire résonna pendant un très long moment tout au long de l'avenue de l'Hippodrome.
A l'intérieur, monsieur Denis émergea de son demi sommeil. Il ne mit que quelques secondes pour apprécier la situation. Il se trouvait en caleçon dans le salon d'une maison qui venait d'être cambriolée. Dans son crâne, bourdonnait une musique très désagréable, un son très aigu, strident, qui le faisait grimacer de douleur.
Chancelant, il rejoignit le couloir. Son pardessus aussi avait disparu.
L'horrible musique s'amplifia encore.
Désespéré, il ouvrit grand la bouche pour lancer un juron mais aucun son ne sortit.
Dans la chambre de son petit chalet suisse, le gardien éprouvait les pires difficultés à enfiler son pantalon. Il lui était impossible de rester plus d'une seconde sur un pied. Il s'écroula sur le parquet et décida de tenter une nouvelle fois l'opération en position allongée. Après plusieurs essais, il enfila enfin les deux jambes et se releva. Il boula hors de sa chambre.
Dans sa cuisine, il attrapa le fusil Tarzan à canon scié suspendu au-dessus du fourneau. Ah! ça! Bon Dieu, celui qui avait eu l'idée de le réveiller en pleine nuit allait le payer cher, très cher.
Il déboula comme un fou dans l'allée principale de la propriété.
Sur sa droite, un bruissement le fit stopper. Il pointa son fusil en direction du bruit.

-Hé la! cria le gardien en voyant un tapis traverser le parc à toute vitesse.
(A suivre )
Image : Peter Lorre dans Casablanca, bien entendu.

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