L'homme était énorme en
long comme en large.Il avança en direction de notre frelon, roulant
des épaules, balançant les bras : sa tignasse rousse ébouriffée,
les yeux flamboyants.
Denis recula. Un feu
ardent lui brûla le dos.
Le molosse avançait
toujours.
Denis put distinguer très
nettement son visage ; il le regretta aussitôt.
L'homme avait un oeil
unique, un nez écorché et les deux joues griffées ; un vrai masque
de gorgone sanglante aux mains d'airains et à la chevelure hérissée
de serpents.
Le cyclope plongea tout
d'un coup vers l'avant.
Denis tenta un bond de
côté mais la bête le rattrapa . Ils roulèrent sur le sol.
Courageusement, Denis martela son adversaire de coups de poing sur ses
flancs. Le molosse plissa juste légèrement le front et retourna Denis aussi facilement qu'une carte. Il enfourcha notre pauvre frelon et se mit à rugir. Son énorme main battoir frappa Denis sur la tempe.
-Assez, ça va comme ça!
fit une voix.
Une autre figure rouge
violacée se présenta au-dessus de celle du géant.
Denis eût tout juste le
temps de remarquer la trogne carrée comme une bûche de celui qui
venait de parler et le drôle de petit chapeau fripé qu'il portait,
avant de sombrer.
Les deux vagabonds
demeurèrent accroupis, dévisageant Denis avec intérêt, pendant
plusieurs minutes.
L'homme au drôle de
chapeau se redressa.
-Qu'est ce qu'on en fait ?
demanda le molosse.
L'autre tordit ses lèvres
puis, considéra le costume de bonne coupe que portait Denis, avec
une attention soutenue.
Il se déshabilla
rapidement , ne conservant qu'un tricot de corps troué et crasseux.
Le costume de Denis
n'était pas exactement à sa taille mais, il s'en contenta. Il
retroussa les manches et les bas de pantalon tandis que le molosse
enfilait sans grande difficulté le gilet rayé.
-Ben mon vieux, un vrai
milord, siffla le molosse qui voyait pour la première fois son
compagnon d'arme en costume.
-Ouais! ca va, grogna
l'autre. Garde tes remarques pour toi.
Il palpa la poche
intérieure du veston et trouva un épais portefeuille.
-Tu veux que je te dise,
c'est notre jour de chance, dit-il en montrant la liasse de billets.
Ce type, c'est le seigneur qui nous l'a envoyé !
Le molosse, qui
n'entendait rien aux choses de la spiritualité, grogna de
contentement et dodelina sa grosse tête comme un bon toutou.
-Allez, on fiche le camp,
décida l'homme au drôle de chapeau.
Ils récupérèrent le
grand sac contenant deux chandeliers, quelques pièces d'argenterie
et une demi douzaine de cadres guillochés et se glissèrent hors du
salon.
Dans le couloir, l'homme
au drôle de chapeau se débarrassa de son long paletot rapiécé et
enfila le manteau en poil de chameau de monsieur Denis.
-Un vrai miracle,
commenta-t-il encore en enfilant le manteau.
Il regarda le plafond du
couloir et lança : "merci mon Dieu" en joignant ses mains.
Le molosse leva lui aussi
la tête et ne distingua que des poutres recouvertes d'une épaisse
couche de peinture verte.
Les deux malfaiteurs
remontèrent la grande allée du parc sans échanger le moindre mot.
Ils escaladèrent le muret avec la grande expérience des gens de
leur caste et se retrouvèrent vite sur le trottoir. Alors qu'ils
passaient devant la grille d'entrée, l'homme au drôle de chapeau
s'arrêta. Il se gratta le menton et se fendit d'un léger sourire.
-Mais, qu'est-ce que tu
fabriques ? demanda le molosse totalement ahuri, en voyant son
compagnon agiter vigoureusement la sonnette.
-J'aide la police,
répondit l'autre, le visage hilare. Il y a un voleur dans cette
maison et j'ai horreur des voleurs. En deux mots, je fais une bonne
action.
Le duo se mit à rire.
Leur rire résonna pendant un très long moment tout au long de
l'avenue de l'Hippodrome.
A l'intérieur, monsieur
Denis émergea de son demi sommeil. Il ne mit que quelques secondes
pour apprécier la situation. Il se trouvait en caleçon dans le salon d'une maison
qui venait d'être cambriolée. Dans son crâne, bourdonnait une
musique très désagréable, un son très aigu, strident, qui le
faisait grimacer de douleur.
Chancelant, il rejoignit
le couloir. Son pardessus aussi avait disparu.
L'horrible musique
s'amplifia encore.
Désespéré, il ouvrit
grand la bouche pour lancer un juron mais aucun son ne sortit.
Dans la chambre de son
petit chalet suisse, le gardien éprouvait les pires difficultés à
enfiler son pantalon. Il lui était impossible de rester plus d'une
seconde sur un pied. Il s'écroula sur le parquet et décida de
tenter une nouvelle fois l'opération en position allongée. Après
plusieurs essais, il enfila enfin les deux jambes et se releva. Il
boula hors de sa chambre.
Dans sa cuisine, il
attrapa le fusil Tarzan à canon scié suspendu au-dessus du
fourneau. Ah! ça! Bon Dieu, celui qui avait eu l'idée de le réveiller en pleine nuit
allait le payer cher, très cher.
Il déboula comme un fou
dans l'allée principale de la propriété.
Sur sa droite, un
bruissement le fit stopper. Il pointa son fusil en direction du
bruit.
-Hé la! cria le gardien
en voyant un tapis traverser le parc à toute vitesse.
(A suivre )
Image : Peter Lorre dans Casablanca, bien entendu.
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