jeudi 4 juillet 2013

Mes aventures de sieste (4)

Les chiens ne se lassent jamais d'aboyer. Les oiseaux, passe encore, mais ces chiens! Je me souviens d'une nouvelle de Pirandello où un paysan s'estimant floué par un promoteur immobilier  décide d'attacher son chien devant l'immeuble récemment construit. Mourant de faim et de soif, la bête va transformer la vie jusque-là paisible des locataires en un enfer et l'affaire se conclura bien par un drame.
Les histoires qui se trament derrière le rideau, de l'autre côté de ma rue, ne sont pas si différentes du quotidien des siciliens, à Regalpetra ,ou ailleurs.



"Il y a des gens qui aiment "mettre un drapeau rouge au rez-de-chaussée, et puis monter à l'étage pour voir l'effet que cela produit" : c'est ce que disait de lui-même Edward Carpenter. Carpenter mettait le drapeau rouge au rez-de-chaussée , puis il prenait l'ascenseur pour s'en aller sur la terrasse regarder les étoiles, l'harmonie, l'esprit, et je ne crois pas que le drapeau rouge lui faisait tellement d'effet.
Dans ces pages, je ne mets pas un drapeau rouge au rez-de-chaussée, je ne saurais pas en apprécier l'effet du haut de la terrasse, et, demeurant au rez-de-chaussée, je ne pourrais le saluer avec foi. Je crois à la raison humaine, et à la liberté et à la justice qui en découlent, mais il semble qu'en Italie il suffise de se mettre à parler le langage de la raison pour être accusé de mettre un drapeau rouge à la fenêtre.
J'ai essayé de raconter quelque chose de la vie d'un village que j'aime, et j'espère avoir donné le sentiment de la distance qu'il y a  entre cette vie et la liberté et la justice, c'est à dire la raison.
Dans toute la Sicile, il y a des braccianti qui vivent 365 jours, une longue année  de pluie et de soleil, avec 60.000 lires ; il y a des enfants que l'on met en service, des vieillards qui meurent de faim, et des personnes qui, comme disait Brancati, laissent pour unique trace de leur passage sur terre une empreinte dans le fauteuil d'un cercle.
L'orgueil, voilà ce qu'il y a de nouveau: et l'orgueil masque la misère, les filles des branccanti et des sauniers se promènent le dimanche, habillées de façon à ne pas faire trop piètre figure à côté des filles des galantuomini, et les galantuomini commentent : "regardez-moi comment elles s'habillent : elles se retirent le pain de la bouche pour s'habiller comme ça"- et je pense "bien, peut-être que c'est un début ; peu importe la façon dont on commence, l'important, c'est de commencer. Mais c'est un commencement difficile. C'est comme si le cadran solaire de la cathédrale marquait une heure du 13 juillet 1789; demain, l'ombre de la Révolution Française passera sur la cadran, puis Napoléon, le Risorgimento, le Révolution russe, la Résistance, et qui sait quand le cadran marquera l'heure d'aujourd'hui, l'heure qui, pour tant d'autres hommes dans le monde, est l'heure juste."

Je l'aperçois, il est attaché sur le toit de cette maison en construction. Combien de temps vont mettre ses propriétaires pour achever cette fichue maison... un mois, deux, peut-être?
Julius Marx
Texte : Leonardo Sciascia (introduction aux Paroisses de Regalpetra (Folio)
Photo : Julius

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