Il ne pouvait trouver que
la
mort dans la source qui
lui
avait donné la vie.
Pentadius
( IVe s.)
Monsieur Denis était un
Frelon.
C'est ainsi que dans nos
services nous nommons ceux qui exercent la respectable et
indispensable profession d'indicateur de police.
Ce sont tous des gens très
utiles pour notre confrérie et il y en a parmi eux de si bien
élevés qu'ils se contentent de beaucoup moins de ce qui leur
revient d'après nos tarifs.
Aux derniers jours de la
seconde guerre mondiale, Denis avait, en quelque sorte, hérité de
la profession de ses parents, tous deux décédés de mort violente
dès la fin des hostilités.
Il avait reprit le
flambeau familial comme on reprend le commerce de charbon ou la
boutique d'alimentation.
Il ne mesurait pas plus
d'un mètre cinquante et pesait un bon quintal.
Sa grosse tête, sa
tignasse blonde et ses éternels gilets rayés étaient la cause de
bien des railleries à son égard. Un tel mimétisme avec le
sobriquet connu de tous de sa profession rendait les imbéciles
hilares et les médecins de l'âme dubitatifs.
Les remarques
désobligeantes pleuvaient sur sa triste personne mais il s'en
moquait totalement, il était fait d'une argile bien supérieure.
Monsieur Denis se piquait
même d'être le meilleur dans sa discipline et croyez-moi, il avait
raison.
Je pourrais vous citer une
bonne douzaine d'homicides qui seraient aujourd'hui classés sans
suite si Denis n'était pas intervenu dans la résolution de ces
épineuses affaires.
Amoureux de son travail,
il connaissait toutes les entrées et les sorties des maisons,
pouvait deviner à coup sûr celles qui étaient ouvertes à un coup
de main .
Grâce à ses conseils
d'expert, que de cambriolages nous avons pu éviter et que de travail
épargné pour une simple petite dîme!
Seulement voilà, Denis
manquait singulièrement de toutes les formes de délicatesse. Il
traitait son entourage et ceux qui avaient l'impudence de l'approcher
avec grossièreté et se laissait aller à de lourdes plaisanteries.
C'était un barbare, un
véritable furor satiricus qui culbutait tout ce qui
s'opposait à sa fantaisie, tas de fumier ou ruines solennelles.
Je ne sais quelle
hypothèse les médecins auraient pu donner pour expliquer son infâme
conduite. Se laissait-il dominer par cette étrange et sauvage
sensation, ce retour inconscient vers son passé, ou l'enfant de dix
ans qu'il était voit sa propre mère ligotée sur une chaise, crâne
tondu, et son père le dos lacéré d' une volée de coups de fouet ?
Etait-il trop profondément marqué par la mort peu commune de ses
géniteurs ? Je ne puis le dire. Trop pénible en tout cas pour qu'on
s'arrête à l'approfondir. Il ne servirait à rien de le cacher
plus longtemps, il n'y avait rien de bon chez lui.
Tous le monde le haïssait
et n'avait qu'un rêve secret : le voir se balancer au bout d'une
corde.
Et cette triste chose
arriva.
Pour vous conter cette
histoire, il me faut retourner quatre années en arrière. C'était
une nuit de janvier, une nuit sombre et glacée, sans une giclure de
lune. Denis remontait la très respectable avenue de l'Hippodrome.
L'avenue qui traverse notre bonne ville de Veninsart d'est en ouest était
déserte. La neige, qui n'avait pas cessé de tomber régulièrement
depuis le matin avait finalement accéléré son rythme et s'était
muée en une vraie tempête.
Denis frissonna. Il
remonta le col de son épais manteau en poil de chameau et pressa le
pas.
Cachée entre deux
irréprochables allées de tilleuls dorés au garde-à-vous, il
trouva la maison qu'il était venu inspecter.
Malgré son poids et sa
taille, il escalada facilement le petit muret de pierre et retomba à
l'intérieur du parc.Il s'enfonça jusqu'aux chevilles dans une
congère de neige fraîche.
Le vent réveilla les
grands arbres qui grognaient.
Dans le parc, un grand
drap blanc immaculé recouvrait la rotonde, le court de tennis et la
piscine, comme si les propriétaires des lieux avaient pris soin
d'envelopper leurs biens avant un départ imminent.
La cabane du gardien
n'était qu'un assemblage imprécis de rondins voulant se donner des
allures de chalet, avec de petits balcons ajourés, et des rideaux
brodés aux fenêtres d'où aucune lumière ne filtrait .
Quant à la demeure
principale, c'était une bâtisse surannée en forme de pastille
Vichy avec une ribambelle de hautes et grandes fenêtres et des
tourelles d'angles incongrues.
Denis savait que les
propriétaires n'occupaient pas leur maison pendant l'hiver. Il eût
un rictus de haine en pensant au gardien dans son chalet,
probablement saoul, comme tous les soirs de la semaine.
La neige redoubla de
vigueur. Les flocons tourbillonnaient devant ses yeux. Denis baissa
la tête et regretta d'avoir laissé son parka avec capuchon de
fourrure chez lui. Pourtant, malgré le froid, il suait abondamment.
Avec sa main, il chassait
les flocons de neige qui s'agitaient comme des moustiques devant lui
tout en poursuivant sa route pénible.
Enfin, lorsqu'il pénétra
dans la maison grâce à son passe-partout, ses chaussures étaient
gorgées d'eau et son grand manteau dégoulinait.
Une grande flaque se forma
tout de suite à ses pieds, sur le carrelage de mosaïque éclatée
du grand hall.
Il souffla et se
débarrassa de son manteau, devenu beaucoup trop lourd, en
l'accrochant au porte-manteau du vestibule.
Comme à chaque fois qu'il
officiait sur le terrain, l'importance de sa mission le rasséréna,
lui donnât un véritable coup de fouet. Il décida de débuter son
inspection par le salon.
Lorsqu'il poussa la lourde
porte, le grincement qu'elle produisit ressembla à une plainte. Il
entra dans la pièce.
Immédiatement, il vit le
feu. Des flammes hautes et vigoureuses léchaient la voûte d'une
cheminée capable d'engloutir une flambée d'une demi douzaine de
bûches. L'âtre gigantesque quadrillait la pièce de rouge,
tapissait d'une doublure de flammes les meubles ventrus. Le parquet,
étang pourpre et agité, craqua soudainement.
Denis sursauta. Un des rideaux festonnés
et brodés comme des rideaux de théâtre venait de s'entrouvrir. Un colosse
déguisé en flamme se présenta.
(A suivre )
Image : James Cagney (White Heat) Raoul Walsh 1949
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