lundi 15 juillet 2013

Le frelon




Il ne pouvait trouver que la
mort dans la source qui lui
avait donné la vie.
Pentadius
( IVe s.)

Monsieur Denis était un Frelon.
C'est ainsi que dans nos services nous nommons ceux qui exercent la respectable et indispensable profession d'indicateur de police.
Ce sont tous des gens très utiles pour notre confrérie et il y en a parmi eux de si bien élevés qu'ils se contentent de beaucoup moins de ce qui leur revient d'après nos tarifs.
Aux derniers jours de la seconde guerre mondiale, Denis avait, en quelque sorte, hérité de la profession de ses parents, tous deux décédés de mort violente dès la fin des hostilités.
Il avait reprit le flambeau familial comme on reprend le commerce de charbon ou la boutique d'alimentation.
Il ne mesurait pas plus d'un mètre cinquante et pesait un bon quintal.
Sa grosse tête, sa tignasse blonde et ses éternels gilets rayés étaient la cause de bien des railleries à son égard. Un tel mimétisme avec le sobriquet connu de tous de sa profession rendait les imbéciles hilares et les médecins de l'âme dubitatifs.
Les remarques désobligeantes pleuvaient sur sa triste personne mais il s'en moquait totalement, il était fait d'une argile bien supérieure.
Monsieur Denis se piquait même d'être le meilleur dans sa discipline et croyez-moi, il avait raison.
Je pourrais vous citer une bonne douzaine d'homicides qui seraient aujourd'hui classés sans suite si Denis n'était pas intervenu dans la résolution de ces épineuses affaires.
Amoureux de son travail, il connaissait toutes les entrées et les sorties des maisons, pouvait deviner à coup sûr celles qui étaient ouvertes à un coup de main .
Grâce à ses conseils d'expert, que de cambriolages nous avons pu éviter et que de travail épargné pour une simple petite dîme!
Seulement voilà, Denis manquait singulièrement de toutes les formes de délicatesse. Il traitait son entourage et ceux qui avaient l'impudence de l'approcher avec grossièreté et se laissait aller à de lourdes plaisanteries.
C'était un barbare, un véritable furor satiricus qui culbutait tout ce qui s'opposait à sa fantaisie, tas de fumier ou ruines solennelles.
Je ne sais quelle hypothèse les médecins auraient pu donner pour expliquer son infâme conduite. Se laissait-il dominer par cette étrange et sauvage sensation, ce retour inconscient vers son passé, ou l'enfant de dix ans qu'il était voit sa propre mère ligotée sur une chaise, crâne tondu, et son père le dos lacéré d' une volée de coups de fouet ? Etait-il trop profondément marqué par la mort peu commune de ses géniteurs ? Je ne puis le dire. Trop pénible en tout cas pour qu'on s'arrête à l'approfondir. Il ne servirait à rien de le cacher plus longtemps, il n'y avait rien de bon chez lui.
Tous le monde le haïssait et n'avait qu'un rêve secret : le voir se balancer au bout d'une corde.
Et cette triste chose arriva.
Pour vous conter cette histoire, il me faut retourner quatre années en arrière. C'était une nuit de janvier, une nuit sombre et glacée, sans une giclure de lune. Denis remontait la très respectable avenue de l'Hippodrome. L'avenue qui traverse notre bonne ville de Veninsart d'est en ouest était déserte. La neige, qui n'avait pas cessé de tomber régulièrement depuis le matin avait finalement accéléré son rythme et s'était muée en une vraie tempête.
Denis frissonna. Il remonta le col de son épais manteau en poil de chameau et pressa le pas.
Cachée entre deux irréprochables allées de tilleuls dorés au garde-à-vous, il trouva la maison qu'il était venu inspecter.
Malgré son poids et sa taille, il escalada facilement le petit muret de pierre et retomba à l'intérieur du parc.Il s'enfonça jusqu'aux chevilles dans une congère de neige fraîche.
Le vent réveilla les grands arbres qui grognaient.
Dans le parc, un grand drap blanc immaculé recouvrait la rotonde, le court de tennis et la piscine, comme si les propriétaires des lieux avaient pris soin d'envelopper leurs biens avant un départ imminent.
La cabane du gardien n'était qu'un assemblage imprécis de rondins voulant se donner des allures de chalet, avec de petits balcons ajourés, et des rideaux brodés aux fenêtres d'où aucune lumière ne filtrait .
Quant à la demeure principale, c'était une bâtisse surannée en forme de pastille Vichy avec une ribambelle de hautes et grandes fenêtres et des tourelles d'angles incongrues.
Denis savait que les propriétaires n'occupaient pas leur maison pendant l'hiver. Il eût un rictus de haine en pensant au gardien dans son chalet, probablement saoul, comme tous les soirs de la semaine.
La neige redoubla de vigueur. Les flocons tourbillonnaient devant ses yeux. Denis baissa la tête et regretta d'avoir laissé son parka avec capuchon de fourrure chez lui. Pourtant, malgré le froid, il suait abondamment.
Avec sa main, il chassait les flocons de neige qui s'agitaient comme des moustiques devant lui tout en poursuivant sa route pénible.
Enfin, lorsqu'il pénétra dans la maison grâce à son passe-partout, ses chaussures étaient gorgées d'eau et son grand manteau dégoulinait.
Une grande flaque se forma tout de suite à ses pieds, sur le carrelage de mosaïque éclatée du grand hall.
Il souffla et se débarrassa de son manteau, devenu beaucoup trop lourd, en l'accrochant au porte-manteau du vestibule.
Comme à chaque fois qu'il officiait sur le terrain, l'importance de sa mission le rasséréna, lui donnât un véritable coup de fouet. Il décida de débuter son inspection par le salon.
Lorsqu'il poussa la lourde porte, le grincement qu'elle produisit ressembla à une plainte. Il entra dans la pièce.
Immédiatement, il vit le feu. Des flammes hautes et vigoureuses léchaient la voûte d'une cheminée capable d'engloutir une flambée d'une demi douzaine de bûches. L'âtre gigantesque quadrillait la pièce de rouge, tapissait d'une doublure de flammes les meubles ventrus. Le parquet, étang pourpre et agité, craqua soudainement.
Denis sursauta. Un des rideaux festonnés et brodés comme des rideaux de théâtre venait de s'entrouvrir. Un colosse déguisé en flamme se présenta.
(A suivre )
Image : James Cagney (White Heat) Raoul Walsh 1949

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire