lundi 22 juillet 2013

Le frelon (suite et fin)



C'est un monsieur Denis transi de froid qui pénétra dans la salle d'attente du commissariat de district numéro quatre,dans les quartiers nord de la ville.
Il vit un agent foncer dans sa direction, agitant une paire de menottes devant lui avec un grand sourire carnassier.
Il en résulta une grande mêlée assez réussie où Denis se fit une forte entaille au-dessus de l'oeil, en tombant contre l'arête une table. Mais les agents vinrent finalement à bout de lui, et le commissaire Mangin lui mit les menottes solidement.
Il se mit à hurler, réclama un officier supérieur, demanda qu'on montre plus d'égards envers un homme de la "même maison".
Il criait si fort que les agents le coiffèrent d'un sac prévu pour envelopper une machine à écrire et le commissaire dit:
-Sans aucun doute, c'est l'énergumène que nous cherchions. Entendez-vous ce langage, ces gros mots ?
Alors, malgré le sac, Denis demanda au commissaire ce que signifiait un traitement aussi indigne.
Le commissaire lui répondit qu'il était le dénommé Jim Carlock, 1,50 m, yeux noirs, cheveux blonds et pas de vêtements sur lui. Qu'il était le dangereux voleur et violeur recherché par ses services depuis trois longues années. Le commissaire se montra fort satisfait d'avoir enfin touché au but. Il ajouta que ses supérieurs lui en serait reconnaissants.
Monsieur Denis donna de longues explications ; mais plus il en donnait, moins le commissaire le croyait.
Lorsque Denis mentionna mon nom et mon grade à ce zélé fonctionnaire en lui demandant de me contacter le plus rapidement possible, le commissaire lui répondit qu'il n'était même pas imaginable de déranger un personnage aussi important que moi à une heure avancée de la nuit et lui conseilla de trouver une autre astuce pour sa défense.
Denis claquait des dents, était fort mal à son aise. Les termes dont il se servit à partir de ce moment-là ne peuvent en aucun cas figurer dans cette histoire.
Deux solides gardiens le jetèrent dans une cellule, et il passa le reste de la nuit à les injurier, puisant inlassablement dans son conséquent catalogue de grossièretés.
Le lendemain, on fit de lui un paquet bien ficelé qu'on déposa devant un juge.
Monsieur Denis se redressa et tâcha de se tirer d'affaire en prenant un air supérieur. Il n'avait guère l'air supérieur, avec ses menottes, quatre gardiens derrière lui, et le sang de sa coupure qui s'était coagulé sur sa joue gauche.
Denis alla jusqu'à ces mots : "mon ami, c'est une affreuse méprise, je vous prie de bien vouloir contacter le commissaire..."
Mais, arrivé là, un gardien lui flanqua une bonne gifle en lui enjoignant de "fermer ça".
Alors le magistrat, un vieil homme usé très proche de l'heure de la retraite, se lança dans une violente diatribe où il fut question de canailles (et il en avait connu une pléthore !)
Le vieillard énuméra la longue liste des individus qu'ils avait fait passer de vie à trépas d'une voix si grave et solennelle qu'elle semblait sortir des profondeurs de l'enfer.
A chaque fois que Denis tentait de lui couper la parole, le gardien se rapprochait de l'infortuné en levant la main bien haut au-dessus de sa tête. Après plusieurs essais infructueux , monsieur Denis renonça.
Le vieux juge mit fin à l'audience en déclarant que personne, jusqu'à ce jour ne l'avait jamais appelé "mon ami".
Il décida que l'accusé serait pendu.
On ramena Denis jusqu'à sa prison et on lui recommanda de ne pas faire l'imbécile.
Dans son cachot humide, il faillit devenir fou de rage, de froid, du malentendu, des menottes, du mal de tête que lui causait sa coupure au front et du coup asséné par ce sacré cyclope.
S'il avait conservé quelque présence d'esprit, il se serait tenu tranquille jusqu'à l'arrivée d'un haut-gradé, mais il tenta de s'enfuir en bousculant le gardien chargé de lui porter sa pitance.
Il reçut un coup de crosse à la chute des reins qui le fit hurler de douleur. Deux autres gardiens vinrent à la rescousse et le secouèrent par le collet. A terre, les trois hommes s'acharnèrent sur lui à coup de pied.
Il se releva , éprouvant grand mal au coeur et un fort vertige.
Debouts, faisant cercle autour de lui, les gardiens se tenaient prêts à reprendre le traitement de faveur réservé aux seuls grands criminels.
Alors, il voulut bien avouer qu'il s'appelait Jim Carlock. Il confessa une impressionnante série de cambriolages, une dizaine de meurtres et autant de viols.
Il donna tant de détails que le greffier eût un mal fou à tout noter !
Lorsque le commissaire Mangin du district numéro quatre, quartier nord, me raconta cette pénible histoire quelques semaines plus tard, il se montra fort navré de son erreur.

Je le rassurai en lui certifiant qu'un frelon ne peut raisonnablement pas espérer une durée de vie aussi longue que celle d'un être humain.
FIN

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