C'est un monsieur Denis
transi de froid qui pénétra dans la salle d'attente du commissariat
de district numéro quatre,dans les quartiers nord de la ville.
Il vit un agent foncer
dans sa direction, agitant une paire de menottes devant lui avec un
grand sourire carnassier.
Il en résulta une grande
mêlée assez réussie où Denis se fit une forte entaille au-dessus
de l'oeil, en tombant contre l'arête une table. Mais les agents
vinrent finalement à bout de lui, et le commissaire Mangin lui mit
les menottes solidement.
Il se mit à hurler,
réclama un officier supérieur, demanda qu'on montre plus d'égards
envers un homme de la "même maison".
Il criait si fort que les
agents le coiffèrent d'un sac prévu pour envelopper une machine à
écrire et le commissaire dit:
-Sans aucun doute, c'est
l'énergumène que nous cherchions. Entendez-vous ce langage, ces
gros mots ?
Alors, malgré le sac,
Denis demanda au commissaire ce que signifiait un traitement aussi
indigne.
Le commissaire lui
répondit qu'il était le dénommé Jim Carlock, 1,50 m, yeux noirs,
cheveux blonds et pas de vêtements sur lui. Qu'il était le
dangereux voleur et violeur recherché par ses services depuis trois
longues années. Le commissaire se montra fort satisfait d'avoir
enfin touché au but. Il ajouta que ses supérieurs lui en serait
reconnaissants.
Monsieur Denis donna de
longues explications ; mais plus il en donnait, moins le commissaire
le croyait.
Lorsque Denis mentionna
mon nom et mon grade à ce zélé fonctionnaire en lui demandant de
me contacter le plus rapidement possible, le commissaire lui répondit
qu'il n'était même pas imaginable de déranger un personnage aussi
important que moi à une heure avancée de la nuit et lui conseilla
de trouver une autre astuce pour sa défense.
Denis claquait des dents,
était fort mal à son aise. Les termes dont il se servit à partir
de ce moment-là ne peuvent en aucun cas figurer dans cette histoire.
Deux solides gardiens le
jetèrent dans une cellule, et il passa le reste de la nuit à les
injurier, puisant inlassablement dans son conséquent catalogue de
grossièretés.
Le lendemain, on fit de
lui un paquet bien ficelé qu'on déposa devant un juge.
Monsieur Denis se redressa
et tâcha de se tirer d'affaire en prenant un air supérieur. Il
n'avait guère l'air supérieur, avec ses menottes, quatre gardiens
derrière lui, et le sang de sa coupure qui s'était coagulé sur sa
joue gauche.
Denis alla jusqu'à ces
mots : "mon ami, c'est une affreuse méprise, je vous prie de
bien vouloir contacter le commissaire..."
Mais, arrivé là, un
gardien lui flanqua une bonne gifle en lui enjoignant de "fermer
ça".
Alors le magistrat, un
vieil homme usé très proche de l'heure de la retraite, se lança
dans une violente diatribe où il fut question de canailles (et il en
avait connu une pléthore !)
Le vieillard énuméra la
longue liste des individus qu'ils avait fait passer de vie à trépas
d'une voix si grave et solennelle qu'elle semblait sortir des
profondeurs de l'enfer.
A chaque fois que Denis
tentait de lui couper la parole, le gardien se rapprochait de
l'infortuné en levant la main bien haut au-dessus de sa tête. Après
plusieurs essais infructueux , monsieur Denis renonça.
Le vieux juge mit fin à
l'audience en déclarant que personne, jusqu'à ce jour ne l'avait
jamais appelé "mon ami".
Il décida que l'accusé
serait pendu.
On ramena Denis jusqu'à
sa prison et on lui recommanda de ne pas faire l'imbécile.
Dans son cachot humide, il
faillit devenir fou de rage, de froid, du malentendu, des menottes,
du mal de tête que lui causait sa coupure au
front et du coup asséné par ce sacré cyclope.
S'il avait conservé
quelque présence d'esprit, il se serait tenu tranquille jusqu'à
l'arrivée d'un haut-gradé, mais il tenta de s'enfuir en bousculant
le gardien chargé de lui porter sa pitance.
Il reçut un coup de
crosse à la chute des reins qui le fit hurler de douleur. Deux
autres gardiens vinrent à la rescousse et le secouèrent par le
collet. A terre, les trois hommes s'acharnèrent sur lui à coup de
pied.
Il se releva , éprouvant
grand mal au coeur et un fort vertige.
Debouts, faisant cercle autour de lui, les gardiens se tenaient
prêts à reprendre le traitement de faveur réservé aux seuls
grands criminels.
Alors, il voulut bien
avouer qu'il s'appelait Jim Carlock. Il confessa une impressionnante
série de cambriolages, une dizaine de meurtres et autant de viols.
Il donna tant de détails
que le greffier eût un mal fou à tout noter !
Lorsque le commissaire
Mangin du district numéro quatre, quartier nord, me raconta cette
pénible histoire quelques semaines plus tard, il se montra fort
navré de son erreur.
Je le rassurai en lui
certifiant qu'un frelon ne peut raisonnablement pas espérer une
durée de vie aussi longue que celle d'un être humain.
FIN
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