samedi 12 septembre 2015

Couleurs





Il se rappela avec un respect immodéré le plaisir grandissant qu’il prenait, à dix ans, en regardant les tableaux et en écoutant de la musique classique, l’absence de l’esprit dans cet amour nouveau. Comme il était merveilleux d’aimer une chose sans le compromis du langage !
                                                             -----------------------------

Il se dit que les grands principes étaient bons pour les universitaires. Le peintre ou même le poète au travail se salit les mains dans la matière du monde.
                                                                 -------------------------

Le surlendemain, lorsque le vent tourna au sud et que le temps changea, il se réveilla sous la tente en pensant qu’il venait de survivre à une nuit dans la nature sauvage. Assise près du feu de camp, Sabrina lisait le livre d’Agassiz. Elle lui dit bonjour et se mit à lui préparer le petit déjeuner. Il se demanda ce qu’il allait devenir. Mais penser à soi était aussi fatigant que d’essayer de comprendre la théorie du chaos dans le supplément scientifique du Times. Derrière Sabrina, sur une bûche moussue, il remarqua une nuance de vert qu’il n’avait jamais vue. Et le premier après-midi à Marquette, une lointaine tâche de lumière avait éclairé le lac sombre et tumultueux, lueur dorée et déferlantes blanches. Le temps passait tandis que sa fille lisait et faisait des œufs brouillés. Il avait rêvé du succès tel que le monde le définit, mais il était étonnamment  facile d’y renoncer au profit de son premier amour.
Jim Harrison

Au Pays du sans-pareil (in Nageur de rivière)
Image : une "Finlandaise " de Sonia Delaunay

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire