Il se
rappela avec un respect immodéré le plaisir grandissant qu’il prenait, à dix
ans, en regardant les tableaux et en écoutant de la musique classique, l’absence
de l’esprit dans cet amour nouveau.
Comme il était merveilleux d’aimer une chose sans le compromis du langage !
-----------------------------
Il se dit
que les grands principes étaient bons pour les universitaires. Le peintre ou
même le poète au travail se salit les mains dans la matière du monde.
-------------------------
Le
surlendemain, lorsque le vent tourna au sud et que le temps changea, il se
réveilla sous la tente en pensant qu’il venait de survivre à une nuit dans la
nature sauvage. Assise près du feu de camp, Sabrina lisait le livre d’Agassiz.
Elle lui dit bonjour et se mit à lui préparer le petit déjeuner. Il se demanda
ce qu’il allait devenir. Mais penser à soi était aussi fatigant que d’essayer
de comprendre la théorie du chaos dans le supplément scientifique du Times. Derrière Sabrina, sur une bûche
moussue, il remarqua une nuance de vert qu’il n’avait jamais vue. Et le premier
après-midi à Marquette, une lointaine tâche de lumière avait éclairé le lac
sombre et tumultueux, lueur dorée et déferlantes blanches. Le temps passait
tandis que sa fille lisait et faisait des œufs brouillés. Il avait rêvé du
succès tel que le monde le définit, mais il était étonnamment facile d’y renoncer au profit de son premier
amour.
Jim Harrison
Au Pays du sans-pareil (in Nageur de rivière)
Image : une "Finlandaise " de Sonia Delaunay
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire