mardi 29 septembre 2015

Illusion


Un jour, c’était un dimanche, je rejoignis Pasqualino dans sa boutique comme à l’accoutumé. Il chargeait son Leica et me dit qu’il devait aller photographier une « réunion » de ménagères paysannes. J’étais épouvanté à l’idée profondément triste d’affronter seul cet après-midi dominical et décidai de l’accompagner. Nous prîmes la route de la mer appelée « riviera », promenade qui me plaît beaucoup. La mer avait sa parure hivernale, jaune, écumeuse, et, tout en marchant sur le sable, loin des maisons, nous abordâmes des sujets habituels, qui ne nous ennuyaient jamais. Nous aurions pu continuer de parler ainsi jusqu’au soir, ce qui est, je crois, la condition nécessaire d’une solide amitié. La mer participait à la conversation. Inutile de rappeler la mélancolie qui émane de la mer l’hiver, le spectacle tonique des vagues qui glissent sur le sable et apportent l’écume presque jusqu’à vos pieds. Dans cette région(1), le vent du nord plie les pins dès qu’ils dépassent un mètre de haut et les fait pousser de guingois. De sorte que s’il n’y a pas de vent, l’illusion persiste, presque théâtrale, et également tonique.
Ennio Flaiano
(Les photographies)
Autobiographie du Bleu de Prusse

 (1)     La région dont parle le narrateur est celle des Abruzzes dont il est souvent question dans ce blog. Quant à la photo qui illustre ce texte, elle a été prise à Venise, le pays où naissent les illusions.

1 commentaire:

  1. merci pour ce si beau texte que j'ignorais
    la mélancolie est décidément une délicieuse compagne
    sinon, je n'oublie pas que je dois te lire et ce sera fait très bientôt, mais le quintal de bouquins dans l'antichambre par obligation professionnelle

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