jeudi 26 avril 2012

Histoires comme-ci, comme çà (5)




Comment je suis devenu un dangereux révolutionnaire.

Tunis, juin 2005.
En Tunisie, on peut considérer que la période des fêtes est celle du Ramadan. La télévision  occupe évidemment une part importante des longues soirées. Les séries ramadamesques tout spécialement écrites pour l'occasion  sont  les plus populaires de la télévision d'Etat.
Cette année-là, je viens d'arriver dans le pays et un producteur me confie la tâche d'écrire la quasi-totalité des 30 épisodes de l'une  de ces séries appelée : Halloula et Slim.
L'histoire est simple, nous suivons la vie quotidienne d'un couple de jeunes mariés.
Nous sommes assis, ce matin-là, à la terrasse d'un café de Sidi-Bou-Saïd. Si le vent me caresse agréablement, le café est un des plus amers que j'ai jamais bu.
(Grimace)
-C'est gentil, mais je ne connais pas grand-chose de la vie des jeunes d'ici.
-T'es méditerranéen ou pas?
-Oui, mais..
-Pas de mais, vas-y. On perd du temps à discuter.
(Autre grimace)
Dans un premier temps, je visionne les séries des années précédentes. Sans comprendre  un mot, je décide de focaliser simplement mon regard sur les structures.Je comprends assez vite pourquoi dans le métier on appelle ces feuilletons les séries "canapé". Pour ne pas perdre trop de temps en changeant l'angle des prises de vues et la lumière, l'action se déroule en quasi-totalité dans le salon, sur le canapé. Après de longues heures d'effort, sans avoir déniché la plus petite ligne dramatique, je décide de jeter l'éponge. Je mange un des petits gâteaux apportés par la secrétaire. J'ai l'impression d'avaler une bonne cuillère de sable du désert.
(Téléphone)
-Alors, tu avances ?
-Ca , ça va...
-Tu veux un café, quelque chose?
(Gargouillis d'estomac contrarié)
-Non, merci.
-J'ai oublié de te prévenir : pas de baisers ni d'étreintes entre les mariés, et puis, impossible de les voir siroter un petit verre, le ramadam tu comprends ?
-Oui, bien sûr.
Le lendemain, j'ai tout de même pondu quelques sujets  articulés à partir de trucs universels comme la jalousie, la cupidité etc. Le producteur s'arrache ce qui lui reste de cheveux pour la traduction.
Quelques semaines plus tard, nous sommes en tournage dans une banlieue chic de la capitale.
L'appartement des jeunes mariés est assez joliment décoré et l'atmosphère serait propice à la création si la température intérieure n'avoisinait pas les 50 °! Entre chaque prise, les comédiens et les techniciens se ruent sur les deux balcons pour respirer un peu d'air à 35°. L'emploi des deux énormes ventilateurs fait sauter l'installation électrique, nous capitulons.
J'apporte le script de l'épisode 18, remanié. Dans cette histoire, la mère d' Halloula soupçonne son mari d'être infidèle. Elle vient pleurer sur le canapé trois-places de sa fille qui lui demande comment elle a découvert la chose. La maman répond que son mari s'est subitement teint les pattes jusque-là grisonnantes. A la lecture du manuscrit, le producteur éclate subitement de rire. Il appelle le chef-opérateur qui, après consultation de mon chef d'oeuvre se tord lui aussi de rire. Bientôt, c'est l'équipe toute entière et les comédiens. J'apprends que le président se teint les cheveux lui aussi depuis belle lurette!
-Comment as-tu deviné?
-J'ai pas deviné...Mais, t'es sûr de ça?
-C'est évident. Tu as vu les affiches, il a l'air d'avoir 40 ans, pas plus.
Mais, ce n'est pas tout. L'épilogue va déclencher une fois encore l'hilarité générale.
Dans la dernière scène, nous apprenons que le papa est amoureux d'une coiffeuse. Cette fois-ci, le costumier et le décorateur sont au bord de l'évanouissement, on ranime l'assistant-opérateur.
- Qu'est-ce qu'il y a encore, le président a travaillé dans la coiffure?
-Non, sa femme, souffle à voix basse le producteur en tentant de reprendre une respiration normale. Toi alors, t'es un rapide, tu sais déjà tout cela... Tu veux nous envoyer en prison ou quoi?
Devant ma mine défaite, il comprend  que tout ceci n'était que le fruit du hasard. Il me tape sur l'épaule et me demande :" Tu veux un café?"
Voila pourquoi,  sans même porter ni la barbe ni le béret, on m'a surnommé pendant toute la durée du tournage le Ché.
Julius Marx



1 commentaire:

  1. Haha c'était tellement énorme cette histoire. Tu étais bien naïf à l'époque mais le plus drôle c'est que tu es tombé en moins de deux mois sur les deux choses que l'on nous a rabâchées pendant qques années ! Je dis bravo.
    ps: Rien qu'hier je parlais à je ne sais plus qui des fameux délicieux et immangeables "gâteaux de sable" que de souvenirs...:)

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