Les lecteurs
historiques de ce blog se souviendront certainement des articles que j’ai
consacré aux différentes bibliothèques de centres culturels dans les pays où j’ai
séjourné. La liste s’allonge aujourd'hui (il faudra bien qu’elle s’arrête un
jour) avec la bibliothèque (je devrai écrire la médiathèque) du centre culturel
français du Caire. Dans ce haut-lieu de la culture et du savoir, il faut
apprendre à chuchoter et à paraître totalement absorbé dans sa recherche. C’est
à peine si les téméraires se risquent à un léger raclement de gorge, un petit
toussotement.
Cachés dans
ces rayons, j’aime à penser qu’il existe certains trésors dissimulés. Des
écrits brûlants qui feraient suffoquer
sur le champ la femme voilée de la réception ou s’évanouir la responsable des
cartes d’adhérents. Bref, du beau texte comme celui qui suit, qui met en scène deux médecins légistes après une autopsie. Le
noir est toujours vivant : appréciez.
« -Irina ?
Vous m’avez toujours rendu fou et vous le savez bien ! balbutia-t-il dans un murmure à peine audible.
Ses traits
exprimaient une souffrance sincère. Affolé par le désir, il étreignit Irina
avec plus de vigueur encore. Elle lui caressa alors la nuque, plaqua sa main
contre son sexe, le pétrit tendrement à travers le tissus de son pantalon, puis
lui tourna le dos pour s’appuyer contre un classeur. Dans une attitude qui ne
souffrait pas la moindre équivoque, Irina se cambra pour offrir sa croupe,
cuisses écartées. De ses mains tremblantes, Pluvinage retroussa sa robe,
plongea dans les dessous de sa
maîtresse, la dénuda, puis se trémoussa pour déboutonner sa braguette, avant de
s’agripper aux hanches grasses, enrobées de cellulite et striées de vergetures.
Ses ongles s’enfoncèrent dans la peau granuleuse, en pelure d’orange, ses
doigts éperdus saisirent les os iliaques, pour s’y cramponner tel ceux d’un
capitaine à la barre d’une goélette affrontant un typhon. La chair tant
désirée, luisante de transpiration, glissait sous ses paumes, comme pour se
refuser, alors qu’au contraire Irina gémissait, suppliait, trépignait,
dégoulinante de mouillure. Pluvinage s’agenouilla pour humer sa vulve et en eut
le vertige. L’étal d’un mareyeur sur la criée de Fécamp, un jour de marée d’équinoxe…
L’appel du grand large, impétueux, irrésistible. Obstiné, persévérant, son
grand hunier cargué à bloc, Pluvinage se redressa et franchit enfin le cap Horn.
Ce fut une étreinte fougueuse, un maelström de coups de boutoir aussi enragés
que frénétiques. Soudain, la semelle des chaussures d’Irina dérapa sur le sol humide.
Elle dut lâcher le classeur contre lequel elle avait trouvé appui, tomba à
genoux, se raccrocha du mieux qu’elle put à un bec Bunsen de la main gauche, au
socle d’une paillasse de la droite, et se livra à quelques ondulations du
bassin qui aspirèrent son partenaire et le vidèrent de toute sa substance.
Pluvinage se retira, exténué, tandis qu’Irina, sonnée, demeurait inerte, à
croupetons, offrant encore le spectacle de son sillon velu, où ruisselait un
copieux filet de sperme. Pluvinage rajusta son nœud papillon en toussotant.
Irina l’imita puis saisit derechef la bouteille de Dom Pérignon d’une poigne
ferme. Il en restait un fond qu’ils partagèrent, les yeux dans les yeux, bras
entrelacés, chacun tendant sa coupe aux lèvres de l’autre. Inquiète, elle lança
un regard vers le ciel, au travers des vitres sales du bureau. Le jour n’allait
pas tarder à se lever.
-J’appelle
un taxi et je vous raccompagne, décréta-t-il.
Elle fit
mine de protester, mais c’était inutile."
Thierry
Jonquet
Vampires ( Roman noir-Seuil- 2011)
Photo: Shelley Winters et James Mason dans le Lolita de Kubrick-1962.
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