dimanche 9 novembre 2014

Une bibliothèque, encore...


Les lecteurs historiques de ce blog se souviendront certainement des articles que j’ai consacré aux différentes bibliothèques de centres culturels dans les pays où j’ai séjourné. La liste s’allonge  aujourd'hui (il faudra bien qu’elle s’arrête un jour) avec la bibliothèque (je devrai écrire la médiathèque) du centre culturel français du Caire. Dans ce haut-lieu de la culture et du savoir, il faut apprendre à chuchoter et à paraître totalement absorbé dans sa recherche. C’est à peine si les téméraires se risquent à un léger raclement de gorge, un petit toussotement.
Cachés dans ces rayons, j’aime à penser qu’il existe certains trésors dissimulés. Des écrits brûlants  qui feraient suffoquer sur le champ la femme voilée de la réception ou s’évanouir la responsable des cartes d’adhérents. Bref, du beau texte comme celui qui suit, qui met en scène  deux médecins légistes après une autopsie. Le noir est toujours vivant : appréciez.
« -Irina ? Vous m’avez toujours rendu fou et vous le savez bien ! balbutia-t-il  dans un murmure à peine audible.
Ses traits exprimaient une souffrance sincère. Affolé par le désir, il étreignit Irina avec plus de vigueur encore. Elle lui caressa alors la nuque, plaqua sa main contre son sexe, le pétrit tendrement à travers le tissus de son pantalon, puis lui tourna le dos pour s’appuyer contre un classeur. Dans une attitude qui ne souffrait pas la moindre équivoque, Irina se cambra pour offrir sa croupe, cuisses écartées. De ses mains tremblantes, Pluvinage retroussa sa robe, plongea  dans les dessous de sa maîtresse, la dénuda, puis se trémoussa pour déboutonner sa braguette, avant de s’agripper aux hanches grasses, enrobées de cellulite et striées de vergetures. Ses ongles s’enfoncèrent dans la peau granuleuse, en pelure d’orange, ses doigts éperdus saisirent les os iliaques, pour s’y cramponner tel ceux d’un capitaine à la barre d’une goélette affrontant un typhon. La chair tant désirée, luisante de transpiration, glissait sous ses paumes, comme pour se refuser, alors qu’au contraire Irina gémissait, suppliait, trépignait, dégoulinante de mouillure. Pluvinage s’agenouilla pour humer sa vulve et en eut le vertige. L’étal d’un mareyeur sur la criée de Fécamp, un jour de marée d’équinoxe… L’appel du grand large, impétueux, irrésistible. Obstiné, persévérant, son grand hunier cargué à bloc, Pluvinage se redressa et franchit enfin le cap Horn. Ce fut une étreinte fougueuse, un maelström de coups de boutoir aussi enragés que frénétiques. Soudain, la semelle des chaussures d’Irina dérapa sur le sol humide. Elle dut lâcher le classeur contre lequel elle avait trouvé appui, tomba à genoux, se raccrocha du mieux qu’elle put à un bec Bunsen de la main gauche, au socle d’une paillasse de la droite, et se livra à quelques ondulations du bassin qui aspirèrent son partenaire et le vidèrent de toute sa substance. Pluvinage se retira, exténué, tandis qu’Irina, sonnée, demeurait inerte, à croupetons, offrant encore le spectacle de son sillon velu, où ruisselait un copieux filet de sperme. Pluvinage rajusta son nœud papillon en toussotant. Irina l’imita puis saisit derechef la bouteille de Dom Pérignon d’une poigne ferme. Il en restait un fond qu’ils partagèrent, les yeux dans les yeux, bras entrelacés, chacun tendant sa coupe aux lèvres de l’autre. Inquiète, elle lança un regard vers le ciel, au travers des vitres sales du bureau. Le jour n’allait pas tarder à se lever.
-J’appelle un taxi et je vous raccompagne, décréta-t-il.
Elle fit mine de protester, mais c’était inutile."
Thierry Jonquet

Vampires ( Roman noir-Seuil- 2011)
Photo: Shelley Winters et James Mason dans le Lolita de Kubrick-1962.

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