samedi 2 juin 2012

Histoires comme-ci, comme ça (13)


Comment je ne suis pas devenu réalisateur



Bruxelles. 2002
Mon chef-opérateur et moi traversons la morne plaine de Waterloo.
Nous nous rendons à Bruxelles pour préparer le tournage de notre première publicité à gros budget.
Nous n'avons que faire du paysage, nous ne faisons que parler scènes, cadres et lumière. Nous ne voyons donc aucun mauvais présage dans notre itinéraire.
C'est déjà la troisième ou quatrième réunion qui nous attend et je sais qu'il va nous falloir encore pas mal de courage pour supporter les recommandations du producteur et de son vendeur de cosmétiques de client.
La réunion s'achève enfin et pendant que mon alter-ego va bichonner sa caméra, je m'occupe de la 8 ou 9 ème séance de casting.
Choisir les deux mannequins (une brune, une blonde) qui vont se partager l'honneur de représenter la marque est un travail  passionnant que l'on doit faire avec une grande précision, en tâchant de ne pas oublier le moindre détail.
La brune doit incarner la gamme "froide" et sa copine évidemment la "chaude".
Pourquoi deux gammes si proches des robinets de salle de bains? Je n'en ai aucune idée.La seule chose que je sais c'est qu'un bon réalisateur ne doit jamais avoir l'air de tomber des nues. Il doit garder le regard vague de celui qui pense, qui réfléchit, et ne peut s'adresser au commun des mortels que par borborygmes. Il faut aussi qu'il soigne son aspect extérieur. Le client engage un archétype, un vulgarus-réalisatum-créatus avec une barbe de trois jours, un jean déchiré et des santiags mexicaines achetées à des péones.
Mais, voici que se présente le premier gros problème. La marque se nomme Oriflame  et leur  nouvelle gamme porte les initiales O et Q.
Si plusieurs pays européens doivent diffuser la même version du film, j'explique au client que pour la France, il est impératif de changer le message. L'état-major de la marque pense à un premier caprice de créateur ( c'est assez courant dans le métier, et puis, c'est l'usage). Après quelques heures de négociations, une douzaine de cappuccino sans sucre, l'état-major concède que  nous ne pouvons pas coller Oriflame avec OQ tout de suite derrière.
Ensuite,côté tournage... c'est la routine..
-Le palace bruxellois où nous tournons exige que nous démontions le matériel une fois le travail terminé. La journée s'achève donc à l'aube. Une autre reprend quelques heures plus tard.
-Le mannequin homme choppe un gros rhume pendant les prises de vues sous l'eau.
-Nous mettons le feu au 200 mètres carrés du studio.
-Le préposé aux accessoires doit fabriquer des stalactites pour le chapeau d'une grand-mère.
-L'hôtel n'a plus ce grand tableau avec les clefs des chambres accrochées dessus. On m'en fabrique un...Avec du velours rouge et des clefs  dorées (je me prend pour Joel Coen).
-L'assistante-opérateur et sa copine la scripte jurent qu'elles arrêtent le métier après ce P..... de tournage de M... (nous entamons la première bouteille de Picon.
Pendant ce temps-là, les deux mannequins ( la chaude et la froide) se battent comme des marchandes d'oignons du marché de Brive-la-Gaillarde.
-Nous buvons encore des Picon-bière.
-La maquilleuse refait quelques raccords.
-La fine équipe se sépare avec le sourire en s'échangeant les numéros de téléphone.
Ce que je retiens de cette période? Uniquement l'expérience humaine . Et c'est sans aucun doute pour cette raison que je ne suis jamais devenu un grand réalisateur (et puis aussi parce que j'ai jamais supporté les santiags... mais, ça, c'est une autre histoire).
Julius Marx


2 commentaires:

  1. Géraldine dit:
    "ARRRGGGHHHHH! Mékédommach! Je me suis délectée tout au long de ton aventure aventure belge, aventure de chaud et de froid, de Picon et de bière, de point culminant (voire de crêtes) et de fesses, mais le tout en t'imaginant fagoté d'un jean (prononcé "gine", bien sûr) méga-over-trop troué et déchiré, d'un T.shirt blanc salasse sur les bords (ie pas forcément sous les aisselles, hein?), et pis surtout, surtout des fatales Tiags en crocautruche, au nez légèrement recourbé, pour le côté agressif de la chose, et puis les talons biseautés, pour le style (prononcé staïle, forcément!). ARRRGHHH, Mékédommach': Môssieur Julius n'aime pas es Tiags!!.... Mais nous, on aime Môssieur J., avec ou sans Tiags... Merci Mössieur J."

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    Réponses
    1. Merci beaucoup Géraldine.
      C'est en partie pour des commentaires comme le tien que je raconte toutes ces histoires sur mon blog.
      Votre regard et votre amitié à tous valent beaucoup plus qu'un vulgaire bulletin de salaire.

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