vendredi 3 juin 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (32)



Richard, Ducasse et Blanquart sortent de la maison du notaire 
Le vent se jette sur eux en hurlant.
Blanquart fait un signe au chauffeur de la camionnette garée sur le trottoir.
Appel de phares / moteur en marche/ prêt.
Le faisceau des phares barbouille le trottoir d'une pâle lumière blanche qui enveloppe les trois hommes.
Blanquart ouvre les portières de sa 505 break  et fait rapidement le tour de sa voiture pour se retrouver au volant. Richard, enveloppé d'une longue redingote noire et coiffé d'un chapeau à larges bords, s'installe côté passager. Ducasse reste planté sur le trottoir : il lutte contre les attaques du vent, se replie sur lui-même, rentre sa tête dans ses épaules, comme à son habitude.
Richard le fixe un moment puis, se tourne vers Blanquart.
-Alors, qu'est-ce qu'il fabrique?
Ducasse ouvre la bouche. Aucun son ne sort. Son imperméable se gonfle et se dégonfle au rythme des bourrasques.
Richard passe sa tête par la vitre ouverte.
-Alors ! Nous attendons mon vieux..
-Peux pas... réussit à murmurer Ducasse avant de tourner sur lui même comme une girouette.
Richard grimace.
-Allez le chercher, commande-t-il à Blanquart.
L'inspecteur grommelle quelques mots incompréhensibles puis sort de la voiture.
En quelques enjambées, il se retrouve face à son supérieur.
-Peux pas... dit une nouvelle fois Ducasse.
Il claque des dents. Son visage est strié de traces humides, des larmes coulent sur le revers de son imperméable.
-Peux pas, sanglote-t-il une nouvelle fois
Blanquart sert les dents.
-Ah merde! crache-t-il en apercevant la flaque d'urine qui se forme aux pieds du chef de la police de Veninsart.
Il  lâche un gros crachat sur le trottoir et fait demi-tour.
-Peux pas, répète Ducasse hébété  en voyant les deux voitures quitter l'avenue de l'Hippodrome.
Puis, il renifle bruyamment, il titube vers un gros tilleul doré et appuie sa tête contre le tronc rugueux.
Le dos voûté, la bouche grande ouverte, il vomit au pied de l'arbre, souillant la plaquette apposée par le syndicat d'initiative.
Il se redresse. Des filets de baves luisants enveloppent sa tête comme des cheveux de sucre une pièce montée.
D'un geste fou, il déchire la poche de son imperméable et ramène un automatique Iver Johnson calibre 22.
Quant il introduit le canon de l'arme dans sa bouche, le goût de graisse rance et le contact froid du métal lui soulèvent le coeur.
L'unique détonation déchire le silence préservé et glacé de la grande avenue. Elle fait aussi sursauter Colette Scherperel qui, comme chaque soir à cette heure, promène son labrador Valdo sur le trottoir des numéros impairs. Sur le trottoir opposé, une ample lumière ricoche sur la fenêtre de cuisine du numéro 146.
Deux autres s'éteignent au même instant dans les étages de la grande villa à l'architecture militaire portant le numéro 148. Sur la haute grille dissuasive de la villa on peut lire l'inscription "Mon repos".

-Nous avons choisi le patron de la société colombophile
-Hein? pardon, dit Berne
-Les membres de notre rédaction ont choisi votre chef pour notre prochain article, explique Sarah.
Berne grimace. Il cherche un moyen d'occuper ses mains. Sa chemise lui colle à la peau ; dans le dos et sous les aisselles.
-C'est un homme important de notre ville non?
-Certes... Murmure Berne  en ouvrant machinalement un tiroir de son bureau.
Non, rien là-dedans qui pourrait l'aider: Un vieux ticket de Millionnaire, un ancien numéro du magazine Lui avec Gloria Lasso nue...
Berne plisse encore un peu plus ses paupières comme s'il venait d'avaler un fruit tropical beaucoup trop acide pour son palais d'européen.
-Impossible , lâche-t-il en refermant le tiroir.

Au même moment ,dans le  local des archives, 
L'homme en blouse  abaisse l'interrupteur et sort de la pièce.
Outis attrape sa lampe de poche. Le faisceau de la lampe glisse sur une longue file de classeurs.
Puisqu'il faut bien commencer quelque part, Outis saisit le premier de la rangée.
Sur la tranche, il est écrit "faits-divers".


-Cette nuit froide nous changera tous en fous déments !
-Hein, quoi?
Richard s'accorde un léger sourire devant l'air ahuri de Blanquart.
-Je citai Shakespeare
-Ah... bien.. fait Blanquart en hochant la tête
-Vous connaissez Shakespeare évidemment ? s'amuse le notaire
-Mnnnff, répond Blanquart sans quitter la route des yeux.
Puis, il jette un coup d'oeil dans son rétro. La camionnette suit. Bien..
-Vous êtes le soldat, plein de jurons étranges, poilu comme la panthère, déclame Richard
Blanquart se contente de hocher une nouvelle fois la tête. Un court instant il se demande si la panthère est vraiment poilue.
Le notaire se redresse, la voix est plus forte, elle remplit l'habitacle de la voiture.
-Jaloux de son honneur, violent et prompt à la querelle, recherchant la bulle d'air de la gloire dans la gueule même du canon !
C'est ça mon gros, si tu le dis..pense Blanquart.
Nouveau coup d'oeil dans le rétro.. Rien à signaler..
(A suivre)

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