jeudi 16 juin 2011

Set-up


Le set-up, ou installation en français, est un art compliqué.
Compliqué  parce qu'il obéit à  certaines règles immuables dont l 'écrivain  et son lecteur ne peuvent se passer.
La première de ces règles est, bien entendu, la présentation : où sommes nous et avec qui ?
A l'évidence, nous sommes dans l'incapacité, nous, lecteurs, de partager  la vie ou le destin d'un personnage qui ne nous a pas été présenté .
Voyons cet exemple de présentation que l'on pourrait qualifier de classique.
"L'inspecteur Arthur  Brown n'aimait pas qu'on le traite de noir. Ca avait peut-être un rapport avec son nom, qui était Brown . Ou avec sa couleur de peau qui, elle aussi, était brune. Ou avec certains souvenirs; du temps où il n'était qu'un gosse haut comme trois pommes déambulant dans sa bonne ville, le mot "noir" semblait attirer irrésistiblement à sa suite l'adjectif "salaud". Agé maintenant de trente-quatre ans, il se disait qu'il devait être un peu vieux jeu, mais il continuait à trouver le mot péjoratif , malgré bon nombre de défenseurs des droits civiques  qui lui avaient donné leur approbation. Brown ne recherchait pas son identité dans sa couleur ou dans son âme. Il la cherchait en lui-même, en tant qu'homme, et l'y trouvait généralement sans problème.
Il mesurait un mètre quatre-vingt-dix et pesait ses cent kilos en caleçon. Il avait la large carrure et les muscles puissants d'un poids lourd , un air décidé qu'accentuait encore sa coupe de cheveux en brosse très courte, plaqués sur le crane comme un bonnet noir et soyeux, coiffure qu'il avait adoptée bien avant qu'il ne soit à la mode d'avoir l'air "naturel". Il avait les yeux marrons , les narines larges , des lèvres épaisses et d'énormes battoirs ; sous son veston, il portait un Smith et Wesson 38 dans son étui.
Quant aux deux hommes qui gisaient à ses pieds sur le parquet, ils étaient blancs et morts."
Ed Mc Bain  (Jigsaw- En pièces détachées ) Carré Noir N° 508
Classique mais efficace non?
Subissons maintenant une autre présentation (de lieux  cette fois-ci)  se voulant originale, enlevée...
 en un mot, moderne, voyez-vous...
"Newark, New-Jersey. Les mauvais quartiers.Sauf qu'il n'y en avait pas de meilleur.
"Décomposition" était le premier mot qui venait à l'esprit . Les bâtiments n'étaient pas vraiment délabrés, non, ils dégoulinaient sur place comme rongés par un acide. Ici, la rénovation urbaine était un concept à peu près aussi familier que le voyage temporel. Le paysage évoquait plus un reportage de guerre (Dresde après le passage de l'aviation alliée) qu'un environnement habitable."
Harlan Coben  (One False move-Temps mort) Fleuve Noir
Un peu pompeux isn't it?
Le coup du bombardement est de trop, l'image de  la décomposition et de  l'acide bien suffisante.
Allez, maintenant, le maître nous montre comment procéder. Voici une présentation lieux et personnages avec une action simple clairement exprimée. Au passage, veuillez noter le nombre d'informations importantes distillées çà et là... Savourez, c'est un cadeau, on n'en reparle ensuite.
"A l'hôtel-Casino Sands, Carlos logeait dans une suite pseudo-romaine. Un crétin en toge qui jouait au centurion fit entrer Wayne. La suite comportait des colonnes romaines et des oeuvres d'art façon "sac de Rome" . Les étiquettes pendaient des cadres.
On avait dressé un buffet. Le crétin fit asseoir Wayne à une table laquée  ornée des lettres" S.P.Q.R".
Carlos entra . Il portait un caleçon en ratine de soie et une chemise de smoking tâchée.
Wayne se leva.
-Ne bougez pas ! fit Carlos.
Wayne se rassit. Le crétin remplit deux assiettes et disparut.
Carlos leur servit le vin d'une bouteille fermée par un bouchon à vis.
-C'est un plaisir, monsieur, dit Wayne.
-Ne faites pas comme ci je ne vous connaissais pas. Vous êtes la recrue de Pete et Ward, et vous avez travaillé pour moi à Saigon. Vous en savez plus long sur mon compte que vous ne devriez, sans compter tous les renseignements contenus dans ce dossier. Je connais votre histoire, et c'est une putain d'histoire comparée à celle des autres têtes de noeud que j'ai entendues ces derniers temps.
Wayne sourit. Carlos sortit de ses poches deux poupées qui remuaient la tête. La première représentait le Dr King . La seconde représentait RFK . Carlos sourit et leur arracha la tête.
-Salud, Wayne.
-Merci, Carlos.
-Vous cherchez du travail, n'est-ce pas?Vous n'êtes pas venu pour que je vous serre la main et que je vous remercie en vous glissant une enveloppe?
Wayne but une gorgée de vin. C'était du vin de l'année acheté dans la première boutique venue."
James Ellroy (Underworld USA) Rivages-Thriller
Pourquoi épiloguer? Tout est dit non?


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