lundi 20 juin 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (37)



Monsieur et le blondinet fixent attentivement l'écran
L'image manque de stabilité et l'éclairage est très nettement insuffisant. Monsieur est enfoncé dans un grand fauteuil, voûté, la tête rentrée dans ses épaules. Le blondinet se tient debout, à ses côtés, la main droite posée sur un des accoudoirs du fauteuil.
Ni la perche du micro qui apparaît souvent dans le champ de la caméra, ni le son défectueux ne perturbent les deux hommes. Ils sont totalement absorbés par le film qu'ils visionnent.
Cadré en plan moyen, un homme, le visage dissimulé derrière un masque de Mickey Mouse , parle, dans une syntaxe lamentable, d'une voix chevrotante. Il hésite entre chaque mot.
Son discours se borne à une énumération des activités illégales de l'association colombophile du Nord.
Une voix off, probablement celle de l'amateur derrière la caméra, l'incite a être plus précis, à donner des noms, des dates, des faits. L'homme s'exécute. Puis, il s'arrête, se racle la gorge et boit un verre d'eau.
-L'imbécile ! dit Monsieur.
Le blondinet se contente de hocher la tête. Son sourire découvre ses incisives.
Le personnage principal du film reprend son énumération.
-Toute cette merde à cause de ce con! peste encore Monsieur avant de se lever.
Le blondinet attrape la souris de l'ordinateur, clique,  et Mickey Mouse retourne dans son fichier.
-Tu sais ce qui te restes à faire, lance Monsieur avant de sortir du local vidéo.
-Oui, Monsieur, répond Blondinet.
Pendant une fraction de seconde, il pense à celui qui s'occupait, avant cette ridicule attaque, de ce genre de boulot. Il soupire en pensant que cette-fois ci, c'est lui qui va devoir creuser le sol gelé.
Il lève la tête vers le plafond...Il entend le grand rire de Mamadou . Il montre le poing en serrant les dents.

Au cinéma Rialto, l'unique salle d'art et d'essais de Veninsart.
La séance de 22h15 s'achève.L'ultime plan du film L'Aventure de Me Muir montre un couple de fantôme qui s'enfonce dans un univers cotonneux. La porte de la maison se referme derrière eux. Musique allégorique.
Dans la cabine de projection, l'employé a déjà revêtu son parka, prêt à filer.

Place du monument aux morts
Une faible lumière filtre encore de la fenêtre grillagée du commissariat. L'inspecteur Chanal est penché sur le clavier de son ordinateur et cherche la touche réservée à l'accent circonflexe .
Face à lui, la femme s'essuie les yeux avec un petit mouchoir brodé à ses initiales.
L'inspecteur Chanal trouve la touche. Puis, il se lève et se dirige vers l'imprimante.
La femme le suit des yeux. Il revient avec la déposition qu'il pose sur le bureau.
La femme lit : "Madame Antoinette Valke, déclare n'avoir pas de nouvelles de son mari Charles Valke, 58 ans, domicilié au 156 Avenue de l'Hippodrome à Veninsart depuis trois jours. Madame Antoinette Valke engage donc la police de Veninsart  et son représentant légal l'inspecteur Marc Chanal  dans le but de..."
Antoinette Valke ne lit pas le document jusqu'au bout. Elle accepte le stylo que lui tend Chanal et signe en bas de page.
L'inspecteur ne perd pas une miette de ses gestes. Son regard libidineux apprécie le tailleur, le corsage de soie et le rang de perles. Les bourgeoises font bander Chanal. Il imagine la femme poussant des petits cris hystériques sous les coups de boutoirs de l'étalon Chanal.


-Chienne de vie !
Le docteur William Klax lance un gros crachat sur le sol gelé. Navigateur solitaire dans le grand parc de sa clinique , il avance en soufflant, traînant derrière lui  le corps de Stanislas Valke.
Le ciel de frac se déchire dans toute sa longueur, libère une  multitude d'escadres de tourbillons poudreux. Les arbres tanguent comme des possédés. Agités de tremblements nerveux, ils balancent leurs centaines de bras adventices. Au bout de chaque bras,  leurs longs doigts monstrueux pointent le docteur.
-Hé! fit Klax en se redressant.
Il tombe à genoux, il implore le ciel
-J'ai pas voulu, c'est pas ma faute!
Les arbres se tordent de rire
-Pitié!
Le ciel gronde. Klax ferme les yeux. PIRE ENCORE ! Des visage ruisselants de sang/ écorchures / plaies vives/déchirures/ entailles...
Klax renverse la tête et hurle à la lune comme un chien.
Le sol se dérobe soudainement et Klax tombe dans le trou qu'il vient de creuser. Le front collé contre une souche, il s'agite encore quelques secondes puis lance un cri désespéré. Son appel devient plainte, gémissement.
Du ciel, claque encore un grand rire éraillé. Silence.
La neige recouvre méthodiquement la sépulture du docteur William Klax.
Come di neve in Alpe senza vento.
(A suivre)

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