"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
mardi 8 janvier 2013
Rien
Rien . Luigi Pirandello écrit cette nouvelle magnifique au titre énigmatique en 1922. Ce texte, inclus dans le recueil "La Mouche" est une des 25O nouvelles écrites par le maître sicilien qui avait le grand projet d'écrire 365 nouvelles et de les rassembler dans un grand recueil . Hélas, ces nouvelles pour une année resteront incomplètes. Mais, consolons nous en relisant l'ensemble de ces textes réunis dans la collection Quarto chez Gallimard. Prenez votre temps, il y a plus de 36OO pages!
Bon, revenons à notre Rien.
Dans un premier temps, ce qui frappe, c'est le sujet de cette nouvelle et puis aussi l'extrême modernité du mode de narration. L'auteur se permet tout ,ou presque. C'est en quelque sorte de l'anti-béhaviorisme. Il commente les actions et les décisions même de ses personnages !
Enfin, dans cette mécanique diablement efficace, l'ironie et l'humour se disputent sans cesse la première place.
De ce petit drame en deux actes nous allons maintenant nous délecter car, d'un commun accord avec moi-même, j'ai décidé de vous livrer non pas uniquement un extrait,comme il est de coutume dans ce blog, mais l'intégralité de ce texte.
On se retrouve dans quelques jours pour discuter de la morale de cette histoire.
Le fiacre cahotant et grinçant dans la nuit longe la vaste place et s'arrête devant la clarté froide d'une vitrine opaque de pharmacie, au coin de la via San Lorenzo. Un monsieur en manteau de fourrure s'élance sur la poignée pour ouvrir la porte. Tourne d'un côté, tourne de l'autre-diable!- la porte ne s'ouvre pas.
-Essayez de sonner, suggère le cocher.
-Où ça? comment?
-Regardez, il y a le bouton, là. Pressez.
Ce monsieur presse le bouton rageusement.
-Elle est jolie leur assistance nocturne!
Et les mots, sous la lumière de la lanterne rouge, s'évaporent dans le gel de la nuit comme une fumée.
De la gare voisine s'élève le coup de sifflet plaintif d'un train en partance. Le cocher tire sa montre, se penche vers l'un des réverbères et dit:
-Eh, presque trois heures...
Finalement, le garçon de pharmacie, bouffi de sommeil, son col de veston remonté par-dessus les oreilles, vient ouvrir.
Immédiatement, ce monsieur :
-Y a-t-il un médecin?
Mais l'autre sentant sur sa figure et sur ses mains le froid glacial recule, lève les bras, serre les poings et se frotte les yeux en bâillant:
-A cette heure-ci?
Puis, afin d'interrompre les protestations du chaland lequel, mon Dieu bien sûr, cette colère est justifiée, qui dit le contraire? devrait pourtant comprendre celui qui a tout aussi raison d'avoir sommeil à cette heure-ci -tenez, tenez, cesse de se frotter les yeux et tout d'abord fait signe d'attendre, puis de le suivre derrière le comptoir dans le laboratoire de la pharmacie.
Entre-temps, le cocher resté dehors descend pour s'offrir le plaisir de déboutonner et de faire là, en plein air, face à la vaste place déserte quadrillée par les rails brillants des tramways, ce qu'il est interdit de faire le jour sans utiliser les abris et prendre les précautions requises.
Car, c'est tout de même un plaisir, pendant que quelqu'un se débat dans une affaire qui l'oblige à demander aide et assistance, que de satisfaire tout tranquillement, comme ça, un petit besoin naturel, et voir que tout reste en place: là, ces chênes vert noir en rang qui bordent la place, les hauts tubes de fonte qui soutiennent la trame des fils des tramways, ces lunes vagues en haut des réverbères, et ici les bureaux de la douane à côté de la gare.
(A suivre)
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