vendredi 17 mai 2013

Alphabet personnel

Je vis  mon dernier mois de quinquagénaire. C'est ainsi, inutile de se lamenter. Je pense plutôt à ceux qui n'ont pas eu cette chance. Vingt-six jours avant la date fatidique ! Tiens, vingt-six comme le nombre de lettres de l'alphabet. Il m'est donc venu une petite idée ( pas vraiment géniale, certes, mais bon.) Je vais simplement tenter d'énumérer vingt-six petits plaisirs, de ceux qui vous  enchante, vous aide et vous guide tout au long des années. Forcément, beaucoup manqueront à l'appel, mais inutile de m'en tenir responsable. Vous oseriez contrarier un presque sexagénaire?

A comme Amarcord



On peut traduire Amarcord par "je me souviens". C'est donc tout naturellement que je le place en tête de mon alphabet personnel.
Dans les années quatre-vingt, j'achète le script de ce film (novelisé, ou romancé comme il vous plaira de le qualifier) chez un bouquiniste (lui-même l'ayant récupéré dans le stock au rebut de la bibliothèque de Grenoble. C'est un détail important car j'ai aussi racheté, quelques années plus tard, un exemplaire de Bagatelles pour un massacre de Céline qui provenait lui-aussi de cet établissement. A cette époque, on ne pouvait se procurer ce livre que sous le manteau. Si vous tenez absolument à savoir pourquoi j'ai tenu à acheter cet immonde bouquin, attendez la lettre C. Bref, je ne louerai  jamais assez la place importante qu'a tenu la bibliothèque de prêt de Grenoble dans ma vie de lecteur.)
Le script d'Amarcord est de Fellini et Tonino Guerra. Autant le dire tout de suite c'est une pure merveille de poésie, d'humour et de nostalgie. Lisez ci-dessous l'introduction:

Je sais, je sais, je sais,
Un homme, à cinquante ans,
a toujours les mains propres.
Et moi je me les lave deux ou trois fois par jour.
Mais quand je les vois sales
Alors je me souviens
du temps où j'étais gosse.

Bien sur, il y a dans ce film un nombre incalculable  de scènes inoubliables. Mais, celle qui me fait encore rire aujourd'hui et qui m'émeut aussi, pour l'avoir tant de fois "joué" avec un qui n'est plus, c'est la scène de l'oncle de Bobo perché dans l'arbre et qui crie : "je veux une femme !"



Beaucoup plus tard encore, je suis allé pendant plusieurs années en vacances sur une plage de l'Adriatique. Pendant ces séjours, j'ai vraiment compris le véritable génie de Fellini qui a su mettre en scène et magnifier ce peuple si poétique.
Je termine avec un article écrit il y a quelques temps et qui raconte une de ces scènes de vie.

Comment j'ai rencontré le chien de Fellini 

Août 2003. Rosetto Degli Abruzzi. Italie.
Incontestablement, le ciel est de couleur bleu azur.
Après un bon café au bar Delle Rose, une visite au marché, je rejoins notre place réservée sur cette longue plage de sable fin de l'Adriatique.
Rangée numéro trois : deux parasols et quatre transats.
Ce village et ses habitants vous donne une petite idée du Paradis. Au Bar de plage de l'hôtel voisin, on vous sert le Campari avec des olives, du fromage et une assiette de friture, sans aucun supplément de prix, même le sourire est toujours compris.
J'ai emporté  Nouvelles pour une année de Pirandello. Les 247 nouvelles qui composent le bouquin naissent dans les 3600 pages du livre et s'achèvent devant mes yeux, sur le sable, parmi les familiers de la chaise-longue.
Pour que débute cette histoire, il faut attendre 17 heures. Laissons donc le temps s'étirer lentement entre les rires lointains des enfants, la musique au tempo saccadé venant de la piscine de l'hôtel poussée sans ménagement par la brise marine entre les branches des palmiers, le cri du marchand ambulant de noix de coco et la voix sourde, noyée dans le grésillement familier du haut-parleur fixé sur le toit d'une voiture, qui annonce le spectacle de cirque de la soirée, l'élection d'une Miss ou le grand film projeté dans les jardins de la Mairie.
Juste le temps d'achever la nouvelle intitulée Rien et voici qu'arrive le héros de cette fin d'après-midi.
Comme chaque jour à la même heure, il redescend tranquillement l'allée centrale de notre plage.
 A son passage, les occupants de la rangée quatre se relèvent. Un papy de la rangée deux réveille sa compagne qui dormait avec un journal sur le visage. Quelques enfants courent derrière lui en chantant ses louanges. Et puis, les baigneurs l'accueillent chaleureusement comme l'un des leurs. Il plonge dans l'eau claire et batifole sous les acclamations, les applaudissements, les rires. Notre héros n'est pas un héros comme les autres. Court sur pattes, le noir et le blanc se disputent la suprématie de son pelage. On retrouve également cette pacifique bataille autour de ses yeux : le gauche est entouré de noir et le droit de poils blancs. Personne ne prend le risque d'annoncer son appartenance à une race quelconque, mais à quoi bon? Cette singularité le classe illico dans la grande famille des chiens de cirque ou de cinéma.
Son bain quotidien achevé, il s'ébroue au milieu d'un cercle d'enfants qui piaillent de joie.
Maintenant, il a quelque chose de très important à faire, le temps du jeux et du divertissement est terminé. Là-haut, sur la longue route droite qui souligne la plage, quelqu'un l'attend.
Sur les conseils de notre maître-nageur je décide de le suivre.
Comme le ferait un promeneur nonchalant, il remonte la route en accordant, çà et là, ses faveurs à quelques jolis troncs de palmiers.
Celle qui l'attend est une femme. Elle est vêtue d'une large blouse fleurie. Cette blouse, c'est le véritable uniforme des femmes des Abruzzes d'un certain âge. Le touriste égaré la pendrait par mégarde pour la femme de ménage de l'hôtel mais, il devrait très vite réviser son jugement hâtif car c'est en fait la patronne très autoritaire de l'hôtel Bella Vista.
Les deux mains posées sur ses hanches généreuses, le regard droit, fixé sur l'interminable rangée de palmiers, elle attend son intrus, son malotru de 17 heures.
L'indésirable, c'est bien entendu notre héros. Pour l'instant, il se fait oublier, caché derrière le tronc imposant d'un arbre.
La matrone jette un regard circulaire, frappe du pied sur le trottoir et décide de retourner à ses affaires. Aussitôt, le chien sort de sa cachette et trottine jusqu'à l'endroit précis où se trouvait la femme quelques secondes auparavant.
Tranquillement, il dépose un joli colombin, devant la belle entrée de ce prestigieux hôtel.
Il décide de ne pas rester plus longtemps sur les lieux de son forfait. Et il a bien raison. La femme resurgit telle une furie, en criant. Mais, notre héros a déjà disparu.
La patronne de l'hôtel Bella Vista jette sa savate en direction du fugitif et lève les yeux en implorant le ciel.
Cette singulière histoire a débuté avec Pirandello et s'achève donc avec Fellini.
Pendant que la patronne de l'hôtel s'occupe de la pièce à conviction abandonnée par ce sacripant de la gente canine, la voiture de l'animation revient à notre hauteur. Elle annonce un magnifique et impressionnant défilé de mode pour le soir-même suivi d'un concert de l'harmonie Municipale.
Ah ! Bien, encore du spectacle.
Julius Marx

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