mercredi 22 mai 2013

F


F comme Flaiano (Ennio)




Complice de Fellini, écrivain et chroniqueur, Ennio Flaiano a écrit un de ces romans qui bousculent radicalement le cours de notre existence. Nous sommes entrés tranquillement dans ses pages, on en ressort perturbés avec tant de questions!
Ce roman, c'est Il Tempo di Uccidere (Un temps pour tuer). Il raconte le voyage d'un officier en rupture de ban, lors de l'expédition italienne en Ethiopie. L'homme tombe sous le charme d'une jeune femme qui deviendra obsession. Une Vita Nuova, digne de Dante et Béatrice comme la définit  si joliment Dominique Fernandez dans son livre le Promeneur Amoureux : "Une passion qui tire son éclat de la mise à distance, de l'exclusion de la femme (1)
Mais, à n'en pas douter, l'autre  personnage du roman c'est l'Afrique. Ce continent qui inspire à la fois dévotion et malaise. Personne mieux que Flaiano (excepté Bardamu avant lui ) n'a su saisir et exprimer  avec une si grande force ce paradoxe.

Femme de Gondar



Pour se laver, la femme avait ramassé ses cheveux dans une espèce de turban blanc.
Accordez-moi un instant de réflexion: ce turban blanc affirmait une existence que, sans cela, j'aurais considéré comme un aspect du paysage, celui qu'on aperçoit avant que le train ne pénètre sous le tunnel. Ce mouchoir de coton définissait chaque chose et j'ignorais alors qu'il allait pour moi définir toutes choses. Je ne pouvais le deviner et j'admirais la grâce instinctive de cette femme qui réussissait avec son seul mouchoir à rester vêtue et à me fournir, à moi qui l'observais, le prétexte d'une description.
Lorsqu'elle se mit debout et commença à se laver le ventre et les jambes, je vis qu'elle était très jeune; mais ses mouvements, dont je ne pouvais attribuer la nonchalance qu'à l'accablement qui naissait de cette chaude journée, étaient ceux d'une femme mûre.
Puis, je m'aperçus qu'elle était belle; elle m'apparut même trop belle; peut-être la solitude m'imposait-elle sans choix ce jugement? Mais non, c'était vraiment une de ces beautés que l'on accepte avec crainte, qui vous ramènent aux temps lointains dont le souvenir subsiste, encore estompé, ou que l'on retrouve dans les rêves, sans savoir si elles appartiennent au passé ou au futur, car la prudence nous conseille de ne pas exclure cette deuxième possibilité. Je ne rêvais pas.
J'étais éveillé et la femme se lavait à quelques pas de moi avec une savonnette de l'armée. Je voyais sa peau claire et splendide, vivifiée par un sang lourd, "un sang habitué à la mélancolie de cette terre", pensais-je.


Traduit en France en 1951 sous le titre "Le chemin de traverse" chez Gallimard.
Heureusement, ré-édité sous le titre "Un temps pour tuer" Editions Le Promeneur (2009)
(1) Introduction à la littérature italienne  in Le promeneur amoureux (Plon 1980)   

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