mardi 7 mai 2013

ciné permanent


Je suis sûr que beaucoup d'entre vous se rappellent le cinéma permanent.
Pour les plus jeunes, je dois vous expliquer qu'il s'agissait presque exclusivement de petites salles, souvent situées tout prêt des gares, qui ne passaient que des films d'actions, des westerns, d'aventure, de science-fiction ou même érotiques. Oui, seulement érotiques et ce sont ces mêmes cinés qui se sont transformés en salles pornographiques quelques années plus tard avant de finir en super-marché, etc, vous connaissez tous la rengaine. On venait s'asseoir sur les sièges défoncés du Sélect , du Louxor , du Méry  ou autre Brady pour passer le temps et même s'il nous arrivait de visionner la fin du film avant le début, on s'en fichait pas mal. De toute façon,l 'intrigue était généralement nulle.
Il faut aussi que je vous dise que le spectacle était le plus souvent bien plus présent dans la salle que sur l'écran et le prix modique des projections n' attirait pas que des voyageurs cinéphiles.
Si j'ai découvert ces salles chauffées à Paris, c'est à Londres que je dénichai, en plein Picadilly Circus, une salle permanente avec petit écran  qui ne diffusait que des films à une bobine (a peu près une vingtaine de minutes). C'est dans cet endroit magique que j'ai fait la connaissance de Keaton, Langdon, Chaplin et des Keystone Cops du grand Mack Sennett.
Croyez bien que si je vous raconte tout cela, chers amis, ce n'est pas pour entamer le récit de ma vie tourmentée mais uniquement pour préfacer l'extrait de polar qui suit, dans lequel j'ai retrouvé  toute cette merveilleuse époque.

"Lucinda se réfugia dans un cinoche. Double programme pour le prix d'un. Il n'y avait qu'une demi-douzaine de spectateurs, mais en comptant les spermatozoïdes, la salle était pleine.
Le premier film était commencé.Kung-fu bondissait tellement que le cameraman n'arrivait jamais  à le cadrer en entier. Lucinda ne savait pas exactement ce que les autres avaient bien pu lui faire, toujours est-il que la colère du justicier était terrible. Et comme Kung-fu n'était un vilain garçon, elle lui aurait bien touché deux mots au sujet de Janet et du lourdingue qui se prenait pour un Peau-Rouge. Ils auraient traité l'affaire en fumant une pipe d'opium devant un jus de canne à sucre. Mais Kung-fu n'arrêtait pas de bouger et Lucinda était  trop lasse. Elle s'assoupit. Quand elle se réveilla, c'était trop tard. Kung-fu embrassait une autre qu'elle mais qui avait peut-être aussi ses raisons et La Morve était assis derrière elle.Le film le faisait chier et il sculptait son chewing-gum en forme de molaire.
La lumière revint, elle fit plisser les yeux. Tout le monde ressembla à Kung-fu. Tout le monde s'observait du coin de l'oeil , sauf La Morve qui calculait l'épaisseur et la résistance du fauteuil de Lucinda comparées à la longueur de son couteau finlandais et à la résistance de son biceps. La lumière s'éteignit pour laisser place aux jouissances perverses. Comme tous les hommes présents dans cette salle, La Morve avait sous la ceinture quelque chose de dur qu'il tenait à pleine main, mais il différait du reste des spectateurs en ce que c'était son couteau.
L'héroïne du film , une brave petite qui ne ménageait pas sa peine, avait déjà connu dix-huit orgasmes et Lucinda était encore en vie. Elle s'ennuyait. La monotonie ondulatoire de ce qui se passait sur l'écran lui donnait le mal de mer. Elle aurait bien sucé un esquimau, mais  il n'y en avait pas dans cette salle et c'est un Noir qui vint s'asseoir à côté d'elle. Elle ne détacha pas son regard de l'écran. La Morve voyait les cheveux noirs de Lucinda dans la lumière du projecteur, il approcha sa main tout près des cheveux, et sans les toucher il suivit leur chute  sur les épaules. Lucinda sentit quelque chose derrière elle et elle secoua la tête. Une longue mèche frôla la main de La Morve et ce contact le bouleversa au point de sortir avec une bobine aussi sinistre que celle projetée dans la salle. Lucinda ne le remarqua pas. Elle sentit une cuisse effleurer la sienne mais ne bougea pas. Elle chercha dans sa poche de jean et trouva un petit morceau de pâte noire enveloppée dans du papier d'alu. C'était tout ce qui lui restait de shit. Elle entreprit de le mastiquer sans prêter attention à la main qui lui caressait le genou. Elle n'avait plus mal au coeur et quand la main lui pressa l'entrejambe, elle ne dit rien car elle sentait bien qu'à l'autre bout de la main il y avait quelqu'un, une présence, et qu'elle était trop seule. Elle n'avait pas non plus envie de bouger. Elle était paumée, dans le noir, devant un film court et débile, avec sa main à elle à présent posée sur l'intimité de quelqu'un qu'elle ne connaissait pas et c'était bien ça l'idée qu'elle se faisait de la vie. L'homme lui proposa cinq sacs pour aller baiser à côté et elle lui dit merde. Elle se fit sans doute traiter de salope raciste mais ça n'avait pas d'importance parce qu'il était quatre heures et que le type du matin arrivait à quatre heures et demie à la gare du Nord."
Hervé Prudon
Tarzan malade
Série Noire n° 2457
C'est fini. Vous pouvez maintenant vous rendormir.
Julius Marx

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