jeudi 21 novembre 2013

Les portes du Paradis (11)

Dans le village de Mosè


Au petit-déjeuner, la surprise, ce sont les biscotti dei morti (les gâteaux des morts). Ces petites douceurs symbolisent les os des morts. Avec humour, notre hôte tient à préciser qu'ils sont toujours aussi secs, qu'il ne les garde pas depuis longtemps dans son buffet pour les refiler aux touristes.
Ils sont effectivement très très durs...
Nous descendons de notre perchoir et prenons la direction du village de Mosè, à quelques kilomètres seulement d'Agrigento. Dans ce village, je tiens à voir une ferme que je ne connais que grâce à un article du blog Fine Stagione consacré au livre  "Un filo d’olio (Un filet d’huile) de Simonetta Agnello Hornby paru aux  éditions palermitaines Sellerio. Ce livre est le récit d’une enfance sicilienne, dans les années cinquante. Les extraits traduits par l'auteur du blog  sont tellement chargés d'émotion qu'ils me poussent vers la propriété familiale.
C'est probablement pour cette raison ( sinon quelle autre explication !) que lorsque une voix sortant de l'interphone me questionne, je réponds dans un italien plus qu'approximatif et pour tout dire totalement incohérent, que nous voulons acheter de l'huile d'olive. La porte s'ouvre pourtant.
Au bout d'un chemin caillouteux, la propriétaire des lieux nous attend. C'est une femme aux cheveux gris d'apparence frêle mais à la poignée de main ferme. Pour échapper à son regard insistant, nous regardons la petite chapelle attenante à la propriété.
Nous montons quelques marches pour nous retrouver sur le tournage d'un film des frères Taviani.
Le décor se compose d'une grande table  sous l'ombre d' un arbre ( on peut imaginer une vingtaine de personnes autour) recouverte d'une toile cirée aux motifs colorés, de plusieurs chaises ( pour l'instant une bonne partie est occupée par des chats.C'est l'heure de la sieste) Et puis, plus loin, une autre table ou deux hommes sont occupés à trier des amandes qui débordent d'un sac en toile de jute d'une vingtaine de kilos. Il y a aussi un enfant qui tourne autour des adultes en brandissant un pistolet plus vrai que nature et des chiens endormis, sur le seuil de la maison ou dans la remise, près d'antiques tracteurs. J'entends l'assistant réalisateur crier "silence!" et "moteur".
Alors, une femme sort de la maison et nous amène du pain et de l'huile. Nous nous installons autour de la table. La  maîtresse des lieux accompagne nos moindres mouvements. Nous comprenons que nous n'aurons probablement pas le droit à plusieurs prises. Il faut rompre ce pain magnifique et presque jaune, verser un filo d'olio dans l'assiette et imbiber la tranche de pain. La partie dégustation n'est pas la plus complexe. Pourtant, il faut  prendre garde à ne pas sur-jouer la scène. L'huile est magnifiquement fruitée, c'est vrai, mais, inutile de s'exclamer, d'employer des superlatifs.
Le rite initiatique s'achève et je suis soulagé d'entendre l'assistant crier "c'est bon, on la garde."
L'atmosphère se détend peu à peu. Le vent est faible, la conversation sérieuse. Nous évoquons la situation politique chez nous puis, nous parlons de notre voyage et de cuisine.
Lorsque ma compagne évoque le regard si particulier des siciliens envers les étrangers, allant même jusqu'à parler de soupçon, le vent se lève un peu mais, pas de quoi s'alarmer.
C'est maintenant le moment de parler du prix de l'huile . Il suffit juste de quelques mots et l'affaire est faite. Il nous semble si bas pour une huile de cette qualité que nous nous demandons s'il varie au gré des performances des acteurs invités?
Au moment de quitter le plateau, je demande où acheter du vin. On me donne une adresse dans le village mais, le magasin n'ouvre qu'à cinq heures. Notre hôte nous propose d'attendre l'ouverture chez elle.
-Restez assis, dit-elle. Moi, je retourne à mes amandes et c'est promis, je ne vous regarderai pas.
Quand je réponds que, pour ma part, je resterai ici toute ma vie, je jurerais la voir sourire.

(A suivre)
Julius Marx

1 commentaire:

  1. Pour ma part, je ne connais cette propriété que par le livre de Simonetta ; je pense que la femme qui vous a reçus doit être sa sœur, puisque c'est elle qui s'occupe de la ferme. C'est vraiment un grand plaisir de vous lire !

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