mardi 19 novembre 2013

Les portes du Paradis (9)

Pièce montée
Je ne sais plus quel écrivain a comparé la cathédrale de Ragusa à une imposante pièce montée. L'image ne peut être plus juste et on s'attend à voir la crème Chantilly dégouliner jusque sur le trottoir pour le plus grand bonheur des enfants. On pense aussi au Grand hôtel du film Amarcord avec ses fenêtres et ses balcons surchargés de stuc, ses flèches élancées couronnant les étages supérieurs. Comme l'hôtel de Fellini et Tonino Guerra, la cathédrale verra surement revenir les touristes à la belle saison.



Les Cataferi
A Santa Croce Camerina, je pense sérieusement à demander l'hospitalité au commissaire. Il suffit juste d'un simple petit coup de tiliphone. Mais, ma compagne me suggère gentiment d'abandonner cette idée. Probablement dans le but de m'amadouer, elle me propose d'aller boire un Campari-soda dans un des cafés du port.
A l'heure où nous arrivons la grosse bourgade est sombre. Sur les quais, pas beaucoup d'animation, juste des groupes de réfugiés (aujourd'hui il faut dire déplacés!) qui marchent têtes baissées.
"Mieux ne valait pas y pinser, à ces histoires, passque ce que racontaient les pêcheurs était terrible : les filets qu'on jetait à l'eau remontaient souvent avec des cataferi (des cadavres), ou des morceaux de cataferi qui étaient nouvellement balancés à la mer. Des restes de centaines et de centaines d'hommes, de femmes, d'enfants qui avaient espérer arriver, après un voyage affreux à travers les déserts et les lieux désespérés qui les avaient décimés, dans un pays où ils auraient pu gagner leur quignon de pain.
pour ce voyage, ils s'étaient dépouillés, vendant tout, corps et âme, pour pouvoir payer à l'avance  les négriers  qui faisaient commerce de chair humaine et qui n'hésitaient pas à les laisser mourir en les jetant à l'eau au moindre signe de danger.
Et puis, les survivants qui arrivaient à toucher terre, quel bel accueil ils arecevaient de notre pays !
Camps d'accueil, ça s'appelait, et en fait, bien souvent, c'était tout simplement des camps de concentration. 
Et puis il y avait aussi des pirsonnes, dites," honorables"(1) qui n'étaient pas encore contentes; elles auraient voulu les voir mortes, ces gens disaient que nos marins devraient prendre leurs bateaux à coups de canon passqu'ils soutenaient que c'étaient tous des délinquants, qu'ils apportaient des maladies, qu'ils n'avaient pas envie de besogner.
Exactement ce qui arrivait à ceux des nôtres quand ils partaient pour la Mérique.
Sauf que maintenant, tout le monde l'avait oublié.
Montalbano, quand il y pinsait, était plus sûr  que saint Joseph et la Vierge Marie, avec la loi Cozzi-Pini et des conneries de ce genre, on ne les aurait jamais fait arriver à la grotte, par chez nous."

Nous quadrillons le village d'est en ouest et du nord au sud sans trouver d'hébergement. Je propose de nouveau de rendre visite à Salvo : peut-être bien qu'Adelina aura cuisiné des arancine ou même des rougets, pourquoi pas? Allez, juste un petit coup de tiliphone....  (Soupirs)




Réalité
Il est tard lorsque nous arrivons à Vittoria. D'après nos informateurs, un revendeur de DVD loue des chambres meublées. Nous nous aretrouvons dans un quartier de la ville bruyant et sale. Les places de village avec leurs cafés accueillants sont remplacées par des boutiques aux vitrines criardes où les parieurs  font la queue pour perdre quelques sous. Nous sommes très loin des Palais et des nobles seigneurs.De plus, comme si  la pénitence n'était pas encore assez importante, nous échouons au milieu d'une foire commerciale!
Chez notre loueur, le sourire est en option. Nous n'avons qu'un seul souhait: dormir et nous échapper au plus vite de cet endroit.
Au petit matin, pas de conversation ; des biscuits venant du supermarché et une machine automatique à expresso !
-Ce soir, on dînera chez Enzo, dis-je à ma compagne en refusant la tasse de café qu'elle me tend.


(A suivre)
Julius Marx
Le texte est extrait de L'eta del dubbio (L'âge du doute) de Andrea Camilleri.
Traduction et note de Serge Quadruppani.
(1) Onorevole, "honorable", est le titre utilisé pour désigner les députés.

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