dimanche 10 novembre 2013

Les portes du Paradis (3)

Ritratto di ignoto
(le sourire d'un inconnu)
En rentrant de Bagheria, nous faisons halte dans un charmant bed and breakfast( prononcez lo béd ande ze braaakfaast). Nous nous attardons sur la  terrasse devant notre chambre qui  donne sur une petite rue. Toutes les portes et fenêtres sont ouvertes.Les rires des enfants, les applaudissements  jaillissant d'émissions de variétés télévisées, les chants et les quelques pétarades de moto tourbillonnent dans le vent frais et léger. La nuit, je tente d'écrire quelques lignes et renonce. Je relis les quelques strophes du poème de Mallarmé.
La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que les oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Ô nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature.

Cefalu

Au matin, après un copieux petit-déjeuner sur la même terrasse ( les animateurs de la soirée ne sont pas encore levés) nous partons en direction de Cefalu.
Avant de quitter le village de Santa Flavia, nous nous arrêtons pour acheter du pain frais.
Derrière la vieille femme qui nous vend le pain, j'aperçois le boulanger ; un homme à la chevelure blanchie, autant par la farine que les années, qui se tient assis, les coudes sur les genoux, la tête basse, le regard fixé sur le carrelage de son laboratoire.

La route côtière n'est qu'un fin ruban  qui serpente entre de luxueuses villas, des baraques croulantes ou des hôtels abandonnés. Ca et là, les services des ponts et chaussés ont plantés, il y a très longtemps, quelques panneaux indicateurs qui désignent tour à tour le ciel, les profondeurs marines ou quelques lieux improbables... De toute évidence, c'est à l'automobiliste de deviner la bonne direction.
Enfin, voici Cefalu. 
La ville ne vit, ou ne survit, que grâce au tourisme. Sur le front de mer, les restaurants se succèdent, amarrés les uns aux autres, et les serveurs vêtus de petits gilets rayés et noeuds papillon, font le guet, comme des hommes de vigie, menus en main, pour accrocher au passage de providentiels clients ramenés par le ressac.




Entre deux échoppes de souvenirs, nous trouvons le palais de la fondation Mandralisca.
Le baron Enrico Piraino di Mandralisca, grand collectionneur, a rassemblé dans sa demeure de nombreuses collections. Après les animaux empaillés, les porcelaines, la vaisselle et les coquillage, nous sommes enfin devant " l'inconnu".
C'est un vrai choc, une émotion. Cet homme qui nous regarde, nous sourit, c'est un peu tous les hommes de l'île. Il y a tellement de vie dans cette toile  que je me demande si l'art n'est pas justement une histoire de communication, de transmission, de partage. Je laisse  aux savants et aux érudits les explications  ou les différents éclaircissements pour ne garder que l'émotion. (1)



La petite Madone
L'après-midi, loin des côtes, nous sommes perdus dans la montagne. Le vent est plus frais. Nous sommes entourés de vallons ou toutes les nuances de vert se disputent la primauté ( un vrai cauchemar pour le daltonien que je suis.) Les clochettes des troupeaux assurent l'ambiance musicale. Dans ce Paradis qui incite à la méditation, je remarque deux hommes, au loin, assis sur un talus. Lorsqu'ils se lèvent, quelques minutes plus tard, je vois bien qu'ils portent des fusils en bandoulière. Je préfère regarder plus bas, vers la vallée. Mais, au fond du ravin, c'est la carcasse d'une voiture calcinée qui monopolise mon attention.
-Nous sommes en Sicile,  me dit ma compagne avec un petit sourire.



Voilà que nous avons perdu la route de Calascibetta !Cette fois-ci, les panneaux indicateurs ne sont plus énigmatiques, ils n'existent plus!
Heureusement,  nous découvrons, perché sur un rocher, la seule habitation visible.C'est un café-restaurant à peine plus grand que l'échoppe d'un marchand ambulant. A l'intérieur, une jolie serveuse tente de nous expliquer comment rejoindre Calascibetta. Les explications sont toujours compliquées parce qu'ici, on ne cite jamais les noms de rue ou les numéros de nationales pour composer son explication. On choisit plutôt un olivier aux formes tortueuses qui incite à tourner à gauche, une maison d'angle au toit rouge  qui force à virer à droite ou une place à la géométrie toute particulière après laquelle le voyageur égaré devra compter sept ronds-points avant d'arriver à bon port.
Alors que nous sommes concentrés sur les données du rébus énumérées par la jolie fille, un policier municipal entre dans le jeu. Nous voyons tout de suite qu'il a du arriver dans le café de bonne heure ce matin. Il est rougeaud, il souffle, il a beaucoup de mal à respirer. Pourtant, il nous explique que quatre kilomètres plus loin, pas plus, la route se divise en deux, à l'endroit précis où s'élève la statue de la petite Madone. C'est donc en voyant la Madone que nous tournerons à droite pour rejoindre la route qui mène à Calascibetta. Il constate que nous sommes encore perplexes. Alors, il sort son portefeuille et en retire la cartolina (2) de la petite Madone qu'il nous offre.
Nous l'avons gardé sur notre tableau de bord pendant tout le voyage.
(A suivre)
Julius Marx

(1) Sur  Ritratto di ignoto ( le sourire d'un inconnu ou le sourire du marin) de Antonello de Messina, lire le merveilleux livre de Vincenzo Consolo Le sourire du marin inconnu. (Cahier Rouges-Grasset)
(2) Petite carte

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