lundi 14 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (10)





Comment je suis devenu dresseur de fauves

Korba. Tunisie. 1976
Je viens de décrocher un sacré boulot : pâtissier dans un village du Club M.
Moi qui pensais passer quelques mois de semi-vacances plutôt tranquille à laisser le vent marin caresser ma peau devenue mate en sirotant des martinis au bord de la piscine, je travaille de l'aube à l'aurore dans un réduit surchauffé pour un salaire de misère. En plus de la période du Ramadan, je découvre l' étymologie de l'expression "tourisme de masse" très en vogue à l'époque.
1600 touristes en short et maillot entassés quatre par quatre dans de magnifiques petites paillotes avec sol en ciment, armature en bois et toiture de paille. La grouillante population de ce camping des temps modernes se réveille très tôt et exige de manger des croissants chauds, puis, elle ne se résigne à dormir qu'après le traditionnel gâteau à la crème bien de chez nous.
La situation déjà difficile va le devenir encore un peu plus avec l'arrivée d'un nouveau chef de restaurant. Dès sa première causerie, nous comprenons que Dieu nous réserve encore une épreuve à surmonter.
Ce petit chef est un être sans qualité. Rigide, il  fait passer la discipline avant la convivialité, le strict  respect des horaires de travail avant  l'indispensable compréhension inhérente à la période complexe du Ramadan. L'ensemble du personnel doit travailler du lever au coucher du soleil, sans boire ni manger, en plein mois d'août. Le sagouin n'en a cure!
Nous décidons, mes compères de la cuisine et moi, de lui donner une petite leçon de "savoir-vivre".
A la fin du service du soir, dès que l'opportun file exhiber son corps sur la piste de danse, nous nous retrouvons à l'entrée du village réservé aux enfants. Notre plan est très simple : capturer l'âne qui amuse tant les tout-petits pour lui faire visiter la paillote de notre Cerbère.
L'affaire est rondement menée. Une belle carotte suffit à  décider  l'animal d'aller faire une petite promenade.
Nous traversons le village sans croiser beaucoup de monde et nous ricanons déjà en imaginant la rencontre de ces deux êtres si proches.
Le bourricot entre sans se faire prier dans la paillote. Nous refermons la porte. Les ricanements sont devenus des rires francs.
Puis, vient la longue période d'attente jusqu'à ce que notre danseur se décide enfin à rejoindre ses pénates. Nous sommes cachés dans une paillote voisine, tapis dans l'ombre, attentifs au moindre bruit.
Enfin, notre homme s'annonce. Nous l'entendons sur le chemin qui mène à sa cabane.
- Hé, il est avec une nana, me chuchote mon voisin.
-C'est la coiffeuse, dit l'un des nôtres, l'oeil collé à une petite ouverture creusée dans la paille.
-T'as raison, je la reconnais.
-Ah! Ben, comme çà, on fera d'une pierre deux coups, j'peux pas la voir, elle non plus, ajoute le guetteur.
 Nous entendons tous rire la coiffeuse; un rire franc qui meurt dans de longs trémolos.
Au lieu de savourer ses dernières minutes de quiétude, son chevalier servant lui demande de baisser un peu le ton. Il lui ordonne même de penser un peu à ceux qui dorment.
Il ouvre lui-même la porte de la paillote.
-Passe-moi la lampe, demande-t-il sèchement à la fille.
Pendant les secondes qui suivent nous n'entendons que des frottements, des bruits de pas, des paroles étouffées et puis, vient le cri.
-Hiiiiiiiiiiiiiiiiii!!!
Un grand cri qui retentit dans la nuit étoilée, immédiatement suivi par une plainte, un déchirement:
-Y'a une bête, là, sur le lit !
-Attends, attends, laisse-moi passer, répond l'homme.
Nous comprenons qu'il tente d'attraper l'intrus par la corde qui nous a servi à l'amener jusqu'à la case.
L'animal n'aime pas qu'on le brusque et il le fait savoir.
-Hi-han !
-Hiiiiiiiii !! répond la fille.
-Tais-toi, bon sang, aide-moi !
Dans la confusion générale qui règne, personne n'entend nos rires.
Le couple est maintenant uni dans l'effort.
-Allez, tire avec moi.
-Hi, han!
-Saleté de bestiole !
Tout d'un coup, nous entendons un bruit de chute. Nous comprenons tout de suite que la corde vient de céder.
-Aïe, aïe, aïe !
-Qu'est-ce qui t'arrive encore?
-Le clou ! Le clou !
-Quoi, le clou?
-Là, dans mes fesses!
-Ah, merde !
-Hi- han !
-Ha! Toi, ta gueule !
Juliette et son Roméo ne sont pas retournés danser pendant plusieurs jours.
La semaine suivante, le petit chef est reparti vers d'autres contrées.
Voyez comme les choses s'arrangent avec un soupçon de diplomatie.
Julius Marx


1 commentaire:

  1. Tu as beau l'avoir déjà racontée un milliard de fois, je ne m'en lasse toujours pas, ça me fera toujours mourir de rire !
    Le "CLOU" du spectacle est tout de même grandiose, t'aurais voulu le prévoir t'y serais pas arrivé..Comme quoi la vie est vraiment rigolote parfois ;)

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