vendredi 25 mai 2012

Les lectures aimées (suite)




Comme ils étaient naïfs et saintement rhétoriques, les visages des héros, les sourires et les larmes des héroïnes! Et les paysages à l'intérieur desquels ils se déplaçaient étaient comme recouverts d'une beauté paisible et affligée : des lacs et des forêts, des montagnes et des mers au-dessus desquels s'étaient perdus les regards d'écoliers d'autrefois.
Les drapeaux de tous les pays du monde scintillaient au soleil sur les mâts des navires colorés, qui entraient ou sortaient majestueusement des ports les plus célèbres, sur les mers les plus lointaines.
De jeunes matelots bouclés comme des petites filles et des vieux pirates, effrayants et joyeux comme des aigles déplumés, chantaient et trinquaient assis autour de tables infâmes, à la lueur jaune d'une lampe à huile qui assombrissait, plus qu'elle n'éclairait, des voûtes fumeuses où nichaient des chauves-souris. Des rochers, couronnés de nuées d'orage et avivés par des éclairs un peu plus grandiose qu'au naturel, surplombaient des plages sombres et désertes, sur lesquelles roulaient continuellement de longues vagues d'acier, surmontées d'une écume livide.
Et ces bruits, ces voix confuses et alarmées des vagues, pleines d'un faible grondement, telles des foules épouvantées qui auraient fui, ou des trains roulant à toute vitesse, ou des troupeaux furieux qui se seraient avancés, ouvraient des clartés sauvages dans les yeux de Pierre, du Pêcheur d'Islande, assis face à cette mer, hébété et seul.


Des personnages plus naïfs se promenaient çà et là, à travers des papiers étranges, inquiets et délicieusement menaçants.Le colonel Cody, à cheval, entouré d'une nuée de coyotes rouges et soigneusement peints, et protégeant ses yeux d'une main, épiait avec attention, par la gorge d'un canyon flamboyant s'ouvrant sur des vallées aériennes dans lesquelles brillait le filet bleu d'un fleuve, ou se déployait en éventail le diadème scintillant d'une cascade, les mouvements imperceptibles  et insidieux de l'ennemi qui avançait.


Robinson Crusoé, vêtu de peaux, barbu,vieilli et pourtant magnifique de courage et d'espoir, sortait par une belle matinée , avec son fusil antédiluvien, chasser les chèvres sauvages dans les petites vallées paradisiaques de son île, et lorsqu'il regardait le beau ciel le regret de l'Angleterre et de sa chère maman voilaient son regard.
(A suivre)
Anna Maria Ortese
Les Ombra
Nouvelles (Actes-Sud)

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