vendredi 11 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (9)

Comment je suis devenu un Monstre.
Paris. 1988.
J'achète le pastiche du journal Libération et je le trouve plutôt bien fait. Aussitôt, c'est une manie chez moi, je rédige quelques articles de la même teneur. Je m'attaque à la rubrique cinéma en critiquant des films de Godard et Rohmer. Dans ma version, je les trouve beaucoup plus attrayants  et surtout plus vivants ( l'acteur principal Sylvester Stallone luttant contre une invasion de fourmis géantes aérophagiques  donnant beaucoup plus d'action au contenu.)
J'expédie le tout au journal.
Quelques jours plus tard, je suis très étonné de recevoir une réponse de l'équipe de rédaction qui me convoque au siège du journal.
Je m'étonne un peu de constater que ces joyeux lurons irrévérencieux crèchent Avenue Henri-Martin, mais, je ne suis pas un type snob, s'ils travaillent dans une chambre de bonne d'un immeuble très cossu, après tout, qu'importe, l'art n'a rien à voir avec la lutte des classes.
Je me rends au rendez-vous en espérant que cette après-midi d'été serait partagée entre franche rigolade et nombreuses pauses au bistrot voisin. La suite m'a montré que je me fourrais complètement le doigt dans l'oeil.
Troisième étage : le tapis du couloir est tellement épais que je n'entends pas le bruit de mes pas. Je songe à un guet-apens, une bonne blague. La secrétaire septuagénaire bcbg , rang de perles sur cardigan, qui m'ouvre la porte me conforte dans mes pensées : je me suis fait rouler, bien joué les gars!
Après un petit sourire complice, elle m'invite à entrer.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire?
J'échoue dans un salon cossu et je m'enfonce dans un Chesterfied  qui sent le vrai cuir.
-Voulez-vous un café, autre chose?
-Non, rien, merci.
Pendant les quelques minutes où je reste seul, abandonné de tous, plusieurs théories se bousculent dans ma petite tête de méchant pasticheur.
Ce sont des admirateurs de Rohmer et Godard, je me suis trompé d'étage, la vieille ressemble à Agatha Christie, c'est une caméra invisible, le propriétaire de l'appartement travaille pour les RG.
Enfin, la porte s'ouvre. Un homme d'une quarantaine d'années entre. Il est habillé d'un costume trois pièces sur mesure et chaussé de mocassins brillants. Il vient vers moi en souriant, en me présentant sa petite main  soigneusement manucurée. J'ai beaucoup de mal à m'extirper du fauteuil.
-Bravo pour vos textes,annonce-t-il, en me faisant signe de me rasseoir. Pouvez-vous en écrire d'autres comme ceux-là?
Après mon "oui" étouffé, Agatha revient dans le salon avec un plateau d'argent et deux tasses en porcelaine fine.
Le café à peine servi, le patron m'explique l'affaire. Il me montre la parodie du Wall Street Journal qu'il a ramené de New-York. C'est simple, il veut faire exactement la même chose avec une des institutions de notre presse française : Le Monde.
Libération était un premier essai commandé à une autre équipe. Aujourd'hui, il veut sa propre équipe de journalistes capables de faire mieux.
A l'évidence, j'étais bien loin de me douter que nous n' arrêterions notre collaboration qu'après plusieurs années, une dizaine de titres parus parmi lesquels : Le Monstre 1 et 2, le Clébard Déchaîné, Ou-est-ce France ?, L'Almanach du Monstre, Le Monstre Mensuel et même le très sérieux Journal Officiel. Je ne pouvais même pas envisager que notre petite équipe allait pondre des titres comme : "L'échec de la politique néo-libérale, une certitude en cas de non-réussite", ou oser des gags comme imprimer un poster central dans le Journal Officiel avec une pin-up à lécher au goût vanille !
Quel bonne blague !
Depuis cette époque, lorsque je joue au Monopoly, j'achète toujours l'Avenue Henri-Martin, elle m'a vraiment porté chance.
Julius Marx



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