mercredi 22 août 2012

Le polar est amour (3)


Il la vit qui l'attendait derrière la porte entrebâillée. L'appartement était plongé dans le noir absolu.
-Oh, Révérend O'Malley! Je me suis fait tant de soucis ! J'ai pensé que la police vous avait agrafé!
Il eut un sourire chaleureux et, à peine le seuil franchi, il lui tapota la main d'un geste rassurant.
Elle referma la porte et, pendant un moment, ils se firent face, dans l'obscurité du petit vestibule, leurs corps se touchant légèrement.
-On pourrait allumer, dit-il. Je ne crois pas qu'il y ait de danger immédiat.
Il y eut quelques déclics d'interrupteurs et les pièces émergèrent de l'ombre.
Avec ses stores et ses rideaux tirés, l'appartement correspondait exactement à ce qu'O'Malley avait imaginé. Le mobilier verni, plaqué chêne, venait d'une maison de vente à crédit, mais à prétention artistique. Contre le mur de la salle de séjour, il y avait un long sofa-lit transformable.
La conversion, d'ailleurs, était achevée et le lit fait.
Mabel suivit le regard d'O'Malley et expliqua, sur un ton d'excuse:
-J'ai pensé que, peut-être, vous auriez envie de vous reposer d'abord.
-Merci de votre pensée, mais d'abord il faut qu'on parle.
-Oh ououi! fit-elle, ravie.
.....En fait, pour O'Malley, l'élément de surprise, c'était Mme Hill. Il la trouvait fort belle: un visage brun et lisse, couronné d'une noire chevelure, qui s'enroulait en bouclettes naturelles, des yeux couleur de mûre, un nez minuscule et retroussé, la lèvre supérieure légèrement ombrée.
Sa bouche était grande, généreuse, aux lèvres teintées de rose, dont le sourire prompt découvrait des dents régulières et blanches. Enfin, dans le déshabillé de chatoyante soie bleue qui dessinait toutes ses courbes, son corps semblait adorable.....
....Elle lui demanda s'il voulait manger un morceau. Il répondit qu'il ferait bien un sort à une assiettée d'oeufs brouillés, à quelques tranches de pain grillé et à une tasse de café.
Elle se mit à préparer la collation. La cuisine était en harmonie avec le reste de l'appartement - réchaud électrique, réfrigérateur, percolateur, mixer à oeufs, batteur de purée et autres accessoires, disposés en ordre serré, gaiement colorés et admirablement hygiéniques.
Mais O'Malley était fasciné par les ondulations de ce corps, sous le déshabillé de soie bleue. Il voyait Mabel s'agiter, se baisser pour prendre la crème et les oeufs dans le réfrigérateur, pivoter vivement, comme si elle voulait tout mettre en train à la fois, et balancer ses hanches, en circulant entre le réchaud et la table....
...Il s'allongea sur le dos, le cerveau assailli par des milliers de pensées. Il finit par s'en débarrasser et s'endormit.
Il rêva qu'il traversait, en courant et l'épouvante au coeur, un bois obscur, qu'il apercevait soudain la lune à travers les branches et que les arbres avaient des formes féminines, avec des seins pendants comme des noix de coco. Brusquement, il tombait dans un puits, un puits tiède, qui l'enlaçait dans une étreinte douce et humide. Il connut une délicieuse extase....

-Oh, Révérend O'Malley! criait Mabel.
La lumière de la chambre semblait traverser son corps, sous la mince chemise de nuit à volants, ouverte sur un sein épanoui et brun. Elle tremblait violemment et les larmes ruisselaient le long de ses joues.
Encore  secoué par son propre rêve, O'Malley quitta son lit d'un bond et enlaça la taille tremblante de la femme. Il sentait la palpitation de la chair chaude et ferme, agitée par des sanglots convulsifs.
-Oh, Révérend O'Malley, j'ai eu un rêve affreux!
-Allons, allons! fit-il, en l'attirant contre lui. Les rêves, ça ne veut rien dire.
Il estimait qu'une femme devait capituler à la centième caresse.
Doucement, et sans cesser de compter les mouvements de sa main, il la renversa sur le dos, tout en poursuivant :
-Etendez-vous maintenant et n'ayez pas de remords à cause d'un rêve stupide. S'il m'arrive un coup dur, ce sera la volonté de Dieu. Tous, nous devons nous incliner devant la volonté de Dieu. Et maintenant, répétez après moi: "Si le malheur s'abat sur le Révérend O'Malley, ce sera la volonté de Dieu."
-Si le malheur s'abat sur le Révérend O'Malley, ce sera la volonté de Dieu, dit-elle docilement, d'une voix étouffée.
-Nous devons tous nous incliner devant la volonté de Dieu.
-Nous devons tous nous incliner devant la volonté de Dieu.
-La volonté divine doit être respectée, reprit-il.
-La volonté divine doit-être respectée.
-Ceci est la volonté divine, articula-t-il avec une insistance hypnotique .
-Ceci est la volonté divine , répéta-t-elle extasiée.
Quand il se fut jeté sur elle, elle songea que c'était encore la volonté divine et cria :
-Ooh, vous êtes vraiment merveilleux!

Chester Himes 
Cotton comes to Harlem
(Retour en Afrique- Série Noire)
Photo : Judy Pace (actrice du film "Cotton Comes to Harlem" -Ossie Davis -1970)

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